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Published on 26 janvier, 2017

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Q et R sur les plus récentes recherches : Les interventions auprès des personnes ayant une aphasie progressive primaire et leurs conjoints

Dre Regina Jokel a offert des services aux patients ayant une aphasie progressive primaire (APP) pendant 25 ans. En plus d’exercer comme orthophoniste à la Sam and Ida Ross Memory Clinic du l’hôpital Baycrest, elle est professeure adjointe à l’Université de Toronto et associée clinicienne au Rotman Research Institute, où elle mène de la recherche sur les signes de démence aux fins des approches de langage écrit et des interventions novatrices face à l’APP. Dans le cadre de sa dernière étude, Dre Jokel a élaboré un programme d’intervention de groupe pour les personnes ayant une APP et leurs partenaires grâce à une subvention de la Sam and Ida Ross Memory Clinic. Deux associées étudiantes d’OAC, Sara Lass et Krista Howarth, ont participé à la mise en œuvre du programme.

Dre Jokel s’est entretenue avec Felicity Feinman, Agente aux communications d’OAC, à propos du nouveau programme et de sa recherche sur l’APP.

Dans les Q et R ci-dessous, « OAC » renvoie à Felicity et « RJ » renvoie à Dre Jokel. Remarque : cette entrevue a été révisée par souci de clarté et de concision.


Dre Regina Jokel

Dre Regina Jokel

OAC : Quel a été le processus d’élaboration du programme sur l’APP?

RJ : J’ai sélectionné les cinq premiers clients et leurs proches aidants (qui étaient tous des conjoints par hasard) parmi ma liste d’attente. Chacun souhaitait participer, alors j’ai rencontré les clients et les conjoints ensemble pendant environ deux heures et je leur ai demandé ce qu’ils aimeraient accomplir et comment nous pourrions maximiser la période dont nous disposions. Ils ont volontiers fait part de leurs suggestions et de leurs idées. Ils m’ont dit qu’ils souhaitaient une éducation propre à l’APP et un peu de counseling. Ils ont également dit qu’ils apprécieraient une certaine forme de thérapie du langage. Par la suite, tous ces aspects ont été intégrés au programme échelonné sur 10 semaines.

OAC : Quel est le plus grand défi que vous avez dû relever dans le cadre de votre recherche?

RJ : En règle générale, le plus grand défi est toujours le financement. Les autres aspects peuvent être gérés. Avec ce projet en particulier, tout s’est plutôt bien déroulé. Personne n’a raté une séance. Certaines personnes devaient se déplacer pendant une heure ou une heure et demie, aller et retour, pour assister aux rencontres. Cela témoigne en quelque sorte du besoin d’interventions en APP et des niveaux de motivation des participants.

Le plus grand défi de cette étude en particulier était sans doute d’aborder des questions difficiles. C’était là un défi pour nous tous. Nous devions parler des rôles évolutifs au sein de la famille. Soudainement, les conjoints (hommes ou femmes) qui étaient les gagne-pain devaient abandonner ce rôle de premier plan, tout en s’adaptant de leur mieux au fait que, dorénavant, ils auront besoin d’une forme d’aide pour eux-mêmes.

Il y avait également la question de l’évolution de la maladie. Les conjoints m’ont demandé de les rencontrer pendant environ une demi-heure avant le début des séances de groupe. Ils souhaitaient apprendre tout ce qu’ils devaient savoir, sans que leurs conjoints ayant une APP ne soient présents, pour qu’ils puissent avoir le temps de digérer la nouvelle. Même s’ils savaient que le trouble évoluerait, il n’était pas vraiment facile pour eux d’entendre que leurs conjoints pourraient perdre totalement leur capacité de langage. Ils n’étaient pas vraiment au courant que les autres compétences cognitives diminueraient aussi. Lorsqu’ils ont appris le diagnostic de leurs conjoints de la bouche d’un neurologue ou d’un médecin de famille, ils se sont fait dire que « la capacité de langage diminuerait », mais personne ne leur a jamais dit en détail que les autres compétences cognitives diminueraient éventuellement aussi. Alors, je crois que c’était difficile pour les êtres chers de l’entendre; et pour moi, c’était un défi de transmettre ce renseignement.

OAC : Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec une équipe interdisciplinaire?

RJ : Le nombre et les champs respectifs des personnes qui ont fourni du soutien au programme étaient dictés par les besoins des clients et de leurs conjoints. Ils m’ont précisé qui je devais inviter. J’avais ma propre idée de qui devait se présenter aux entretiens et de qui devait nous parler. À partir de ma liste, les participants au groupe ont sélectionné les professionnels qui, selon eux, leur seraient les plus utiles. J’avais un scientifique de la nutrition, qui nous a parlé d’un régime propice à la santé du cerveau. J’avais également un neuropsychologue qui nous a parlé des changements cognitifs et un psychologue clinicien qui a souligné les avantages d’une thérapie comportementale cognitive. J’ai invité un scientifique en neuro-rééducation qui est venu nous parler de la recherche actuelle sur la stimulation non invasive du cerveau chez les personnes ayant une APP. En outre, une travailleuse sociale a collaboré avec moi, selon les besoins. Elle était disponible toutes les semaines pour le counseling à la fois de groupe et individuel. Un neuropsychiatre est venu parler de la dépression potentielle à la fois des partenaires et des clients ayant une APP et des façons efficaces de s’en arranger.

OAC : Comment avez-vous évalué l’efficacité du programme?

RJ : J’ai utilisé un questionnaire conjugal et l’échelle de qualité de vie de la communication de l’ASHA. Ce sont là deux importants questionnaires qui étaient axés sur l’autoévaluation. Ils ont été administrés avant et après le programme. J’ai également évalué la facilité et la réussite des stratégies de communication qui étaient enseignées et pratiquées dans deux différentes séances : au début et à la fin du programme.

OAC : Pouvez-vous résumer les résultats préliminaires de votre recherche?

RJ : La découverte la plus étonnante et la plus agréable a été que presque tout le monde s’est amélioré — les clients aussi bien que les conjoints. Vous devez vous rappeler que nous parlons d’un trouble progressif, alors le maintien est généralement ce que vous visez. Lorsque vous constatez une amélioration en plus du maintien des gains thérapeutiques, c’est un grand « plus ».

Les partenaires m’ont dit qu’ils étaient mieux préparés face à l’avenir. Leur connaissance de l’APP s’est améliorée et, par conséquent, ils sont mieux outillés pour gérer les questions psychosociales et les défis de communication liés à l’APP. Ils peuvent résoudre les problèmes un peu mieux maintenant et ils sont un peu plus à l’aise de parler de l’APP de leurs conjoints. On a constaté une différence statistiquement importante entre les interventions antérieures et ultérieures dans ces domaines.

Chez les clients, on a enregistré une tendance en termes d’amélioration de la qualité de vie. Si, à l’intérieur du programme de 10 semaines, vous pouvez réellement voir une forme quelconque d’amélioration — qu’elle soit statistiquement ou cliniquement importante — je crois que c’est absolument fabuleux.

OAC : Comment, selon vous, votre recherche montre-t-elle les avantages d’une intervention pour un trouble du langage progressif?

RJ : C’est un aspect qui ressort nettement à la fois des autosignalements et des évaluations objectives. J’avais un groupe témoin qui n’a obtenu aucune intervention et j’ai constaté qu’il y avait une différence statistiquement importante sur chaque mesure entre le groupe témoin et les participants au programme, ce qui laisse entrevoir le fait que ceux qui ont participé au programme tiraient réellement des avantages du programme.

Je savais, à la lumière de ma recherche antérieure, que chaque fois que j’offrais une intervention à une personne ayant une APP, il n’y avait jamais un seul client qui n’en tirait pas un avantage. Confronté à la perspective de perdre votre capacité de langage, vous travaillez aussi fort que possible pour la préserver. Mes clients ont toujours été extrêmement dévoués à la thérapie.

OAC : Pourquoi, selon vous, la participation de la famille est-elle si importante aux interventions en APP?

RJ : Je crois que la participation de la famille est essentielle aux interventions pour chaque trouble. C’est fort probablement quelque chose de plus important chez les troubles progressifs, étant donné que, à la fin de la journée, il incombera à la famille d’apporter la majorité des changements.

Évidemment, pour la famille, la plupart du temps, la chose la plus importante est de conserver leur proche à la maison aussi longtemps que possible et autonome le plus longtemps possible. Alors, il est important pour la famille d’en apprendre sur tous les aspects de l’évolution, qu’il s’agisse de la diminution des fonctions cognitives, de la diminution des capacités de langage ou des stratégies qu’elle peut appliquer aux situations quotidiennes. Il semble que la combinaison des aspects éducation, counseling, thérapie langagière et stratégies de communication dans le cadre d’un même programme fonctionne très bien.

OAC : Selon vous, qu’est-ce que les cliniciens travaillant auprès des clients ayant une APP devraient retirer de votre recherche?

RJ : Je crois qu’ils comprendront le besoin d’une intervention simultanée pour les conjoints et les clients ayant une APP. J’espère que les cliniciens seront encouragés à travailler avec les personnes ayant une APP et peut-être même à contribuer à la recherche clinique. Il y a une tonne de choses à propos de l’APP qui n’a toujours pas été mise au jour ni documentée.

Cliquez ici pour obtenir une liste des publications antérieures de Dre Jokel. (disponible en anglais seulement)




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