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Published on 26 février, 2017

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Q et R sur les mémoires : La démence sémantique et la morphologie flexionnelle et dérivationnelle

Le Communiqué publie les titres de tous les mémoires et thèses d’études supérieures des programmes d’orthophonie et d’audiologie canadiens chaque année. Cette année, nous avons prolongé l’invitation aux auteurs des mémoires et thèses pour leur offrir la possibilité de partager davantage de renseignements à propos de leurs travaux.

Noémie Auclair-Ouellet a complété son doctorat en orthophonie à l’Université Laval en 2016. L’Agente aux communications d’OAC, Felicity Feinman, s’est entretenue avec elle à propos de sa thèse, qui porte sur la démence sémantique et la morphologie flexionnelle et dérivationnelle.

Dans les Q et R ci-dessous, « OAC » renvoie à Felicity et « NAO » renvoie à Noémie Auclair-Ouellet. Remarque : cette entrevue a été révisée par souci de clarté et de concision.


Noémie Auclair-Ouellet

Noémie Auclair-Ouellet

OAC : Pourquoi avez-vous choisi votre sujet de thèse?

NAO : J’avais travaillé sur la morphologie flexionnelle durant mon diplôme de maîtrise. J’ai pensé que ce serait un sujet très fascinant, et à la fin de mon diplôme de maîtrise, j’avais toujours beaucoup de questions en suspens. C’est pourquoi je voulais continuer de travailler sur ce sujet et essayer de le comprendre un peu plus. Ce que j’ai trouvé intéressant en morphologie flexionnelle, c’est le recoupement entre les mots et les phrases. La morphologie flexionnelle implique des mots isolés, mais, du même coup, ceux-ci doivent fonctionner les uns avec les autres dans la phrase.

J’ai également travaillé en morphologie dérivationnelle dans le cadre de mon doctorat. C’est un sujet qui n’est pas souvent abordé en troubles acquis du langage, mais bien étudié en langage développemental. Je trouve la morphologie dérivationnelle fort intéressante, étant donné que nous ne nous rendons pas compte à quel point nous l’utilisons au quotidien et à quel point elle est importante pour nous aider à créer des nouveaux mots en ajoutant des préfixes et des suffixes aux mots que nous utilisons déjà. Nous prenons souvent pour acquis que le lien entre le son d’un mot et sa signification est très arbitraire, mais dans le cas des mots morphologiquement complexes, ce n’est pas exactement le cas, vu que ces préfixes et suffixes ont la même signification dans différents mots.

OAC : Pouvez-vous nous résumer votre thèse?

NAO : J’ai testé un groupe de 10 personnes atteintes de démence sémantique et 20 participants contrôles. Ils ont complété une batterie de tâches en morphologie flexionnelle et dérivationnelle ainsi qu’une batterie de tests langagiers et neuropsychologiques. Le but de l’étude était de comprendre le rôle de la cognition sémantique en morphologie flexionnelle et dérivationnelle et de voir si le trouble de la cognition sémantique pouvait causer des difficultés par rapport à ces aspects.

Tout comme ce qui avait été rapporté dans d’autres études, les personnes atteintes de démence sémantique ont des difficultés avec la flexion des verbes irréguliers. C’est un résultat qui a été rapporté à maintes reprises, mais dans ce projet, en plus de ces difficultés, les participants avaient également des difficultés dans la production des flexions de temps et de personne, autant dans les verbes irréguliers que réguliers. Il s’agit de difficultés de nature plus sémantique. Dans une autre tâche où ils devaient comprendre la signification des morphèmes flexionnels, les participants atteints de démence sémantique éprouvaient également des difficultés à associer les morphèmes au bon temps. Ainsi, dans l’ensemble, cela montre que le trouble de la cognition sémantique a un effet sur les mots réguliers en plus des mots irréguliers. Les mots réguliers peuvent dépendre essentiellement de la phonologie et de l’orthographe au moment de leur mise en lien avec leurs différentes formes fléchies, mais les mots irréguliers doivent dépendre davantage de la signification et de la sémantique. Cela est déjà connu, mais ce projet a également montré que le trouble de la cognition sémantique a un effet sur la signification qui est transmise par les morphèmes.

Sur le sujet de la morphologie dérivationnelle, le projet a montré que les personnes ayant une démence sémantique avaient de la difficulté à produire les bons mots lorsque le lien était moins évident entre le mot d’origine et le mot cible. Par exemple, lorsque vous avez « conçu » et « conception », ce sont deux mots qui ont des racines allomorphiques et il était plus difficile pour les patients de passer du premier mot au deuxième mot. Lorsque nous leur avons demandé de le faire, ils ont produit des pseudo-mots morphologiquement complexes. Cela montre qu’ils étaient toujours capables d’utiliser la morphologie pour produire des mots et pour en générer en assemblant des morphèmes, mais ils étaient incapables de juger si ce mot était un vrai mot ou pas. C’est probablement encore plus difficile pour eux d’effectuer un tel jugement, vu que ces morphèmes sont des unités qui existent déjà dans la langue. Enfin, les patients avaient des difficultés à comprendre la signification des préfixes et des suffixes et également à comprendre le changement de sens qu’ils induisent sur un mot de référence.

OAC : Quel est le plus grand défi que vous avez dû relever dans votre recherche?

NAO : Comme je le disais, il n’y a pas beaucoup de recherches sur la morphologie dérivationnelle portant sur les troubles acquis du langage. J’ai eu beaucoup de recherches à faire afin de planifier le projet et d’élaborer les tâches, étant donné que j’avais peu de documentation pouvant m’inspirer.

En outre, je voulais étudier la démence sémantique, également connue comme la variante sémantique de l’aphasie primaire progressive, qui est une maladie neurodégénérative très rare. Par conséquent, le recrutement a clairement représenté un défi. Mon principal centre de recrutement était à Québec, mais je recrutais également des patients à Montréal et cela m’a permis de monter un groupe. En fait, au meilleur de mes connaissances, c’est le plus grand groupe de patients francophones ayant une démence sémantique recrutés dans une étude sur le langage.

OAC : Pourquoi cette recherche est-elle importante?

NAO : La démence sémantique et les autres variantes de l’aphasie primaire progressive suscitent une attention de plus en plus marquée, mais elles sont toujours moins bien connues que les autres maladies neurodégénératives. La recherche montre désormais qu’on pourrait améliorer les critères utilisés pour le diagnostic différentiel des variantes de l’aphasie primaire progressive ou qu’on pourrait les préciser. De plus, à ce jour, il y a eu peu de recherches sur les patients qui parlent des langues autres que l’anglais. Ainsi, il est intéressant de se faire une idée de ce qui est général et de ce qui pourrait être davantage propre à chaque langue en aphasie primaire progressive.

OAC : Quelles leçons espérez-vous que les cliniciens tirent de votre recherche?

NAO : Je crois que ma recherche a des implications pour la démence sémantique, bien entendu, mais également pour les autres types de troubles sémantiques, tels que l’aphasie survenant à la suite d’un AVC, par exemple. Il y a un nombre de plus en plus grand d’études qui mettent en doute le lien quasi-exclusif entre l’aphasie non fluente et les difficultés en morphologie flexionnelle. Ma recherche et d’autres recherches montrent que nous devrions sans doute évaluer la morphologie flexionnelle chez les patients ayant un profil langagier fluent. .

Une autre implication potentielle est que lorsque nous entraînons les patients à nommer des verbes, nous devons les inciter rapidement à intégrer les verbes dans des phrases, pour qu’ils aient l’occasion de pratiquer les adaptations morphologiques nécessaires pour produire ces verbes dans des contextes de phrases.

J’ajouterais même que nous avons besoin de plus d’intégration de la morphologie dérivationnelle dans l’évaluation des troubles acquis du langage. Il y a beaucoup de recherche en acquisition du langage et nous entendons de plus en plus parler de la conscience morphologique. Je pense qu’il pourrait y avoir des tâches rapides et faciles d’administration que nous pourrions ajouter à nos batteries de tests langagiers pour obtenir des précisions sur la capacité des patients à utiliser des indices morphologiques pour faciliter la compréhension des mots parlés et écrits, surtout dans le cas des mots peu familiers.

OAC : Quelle est la prochaine étape de votre recherche?

NAO : Je suis actuellement à Calgary afin d’y effectuer un stage d’étude postdoctoral. Je travaille sur un projet visant à identifier des mesures linguistiques pour l’identification précoce et exacte des troubles cognitifs dans la maladie de Parkinson et les autres maladies neurodégénératives. Je me concentre sur la compréhension des phrases et sur le traitement lexical et sémantique des mots d’action. J’analyserai les mesures langagières en lien avec des mesures d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Cela aidera à clarifier une question qui suscite de plus en plus d’attention en recherche : il y a d’importants déficits de la compréhension des phrases dans la maladie de Parkinson. Ces déficits pourraient être liés aux déficits des fonctions exécutives, mais les difficultés pour les mots d’action pourraient être davantage liées à des déficits moteurs et, en fait, indépendants des déficits des fonctions exécutives.

En parallèle, je travaille à la normalisation et à la validation de quelques-unes des tâches que j’ai utilisées dans le cadre de ma thèse. Une étudiante à la maîtrise en Suisse a également travaillé à l’élaboration de la batterie de tests et, ensemble, nous ajouterons des tâches portant sur les mots composés à cette batterie.

Cliquez ici pour lire la thèse de Noémie.




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