Aides en santé de la communication

Published on 18 mai, 2017

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Q et R avec la lauréate du Prix du rédacteur en chef 2017

L’édition annuelle du Prix du rédacteur en chef d’OAC reconnaît le meilleur article publié dans la Revue canadienne d’orthophonie et d’audiologie chaque année. La lauréate de l’édition 2017 du Prix est Elin Thordardottir, Ph. D., pour son article « Comparaison des échantillons de langage longs et courts : une procédure clinique pour l’évaluation du langage en français ».

Dre Thordardottir a été assez généreuse pour répondre à quelques questions à propos de sa motivation à écrire l’article et des applications cliniques de sa recherche :

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l’orthophonie?

J’ai étudié l’islandais et la linguistique à l’Université de l’Islande, mais je ne pensais pas me trouver un emploi en linguistique. Alors, j’ai cherché une autre façon de faire quelque chose connexe au langage qui mènerait à un emploi. Je suis tombée sur [l’orthophonie] et j’ai pensé que ce domaine me conviendrait bien car il avait trait à la linguistique tout en menant à une certification professionnelle et en étant lié à un poste particulier alors j’ai pensé que j’aurais ainsi de meilleurs débouchés d’emploi.

Qu’est-ce qui vous a menée à la recherche?

Lorsque j’ai commencé à étudier l’orthophonie, je me suis intéressée à l’audiologie. J’ai suivi des cours en audiologie et je les ai trouvés très chouettes – j’avais également une maîtrise ès Sciences en audiologie et c’est ce que je pensais faire de ma vie. J’ai pensé que je serais audiologiste clinicienne. Mais je me suis mise à rédiger mon mémoire de maîtrise, qui faisait appel à l’acquisition des Inventaires d’acquisition de la communication (IAC) de MacArthur-Bates en islandais. Tout est parti de là. Certains de mes professeurs m’ont dit que je serais habile en recherche et pourquoi me limiterais-je à un Ph. D.? Je ne crois pas que j’y avais vraiment réfléchi auparavant, mais c’est ainsi que la situation évolué. J’ai l’impression d’aimer vraiment cet aspect du domaine.

Comment avez-vous commencé à mettre l’accent sur le thème de la longueur des échantillons du langage, surtout l’échantillonnage en français?

J’ai étudié l’orthophonie à l’Université du Wisconsin, là où le logiciel SALT a été conçu. Ce logiciel devait servir à l’analyse des échantillons du langage à des fins cliniques et il intègre toute une série de normes. Je suis devenue très habile à l’échantillonnage du langage et j’ai également appris à très bien comprendre comment réaliser l’échantillonnage et comment utiliser le logiciel. Je ne peux m’imaginer en train de faire du travail clinique sans lui.

Lorsque je suis venue à Montréal, j’ai commencé à accomplir beaucoup de recherche en français. Si vous souhaitez vraiment évaluer le langage, l’échantillonnage du langage spontané est une partie incontournable de cette évaluation. J’ai montré par la recherche sur l’échantillonnage du français qu’il produit des résultats qui n’ont aucun lien croisé avec les autres mesures, alors il révèle quelque chose d’unique, il donne accès à une perspective différente. Je crois qu’il est absolument essentiel à toute batterie d’outils d’évaluation. Étant donné que nous n’avions aucune norme ou moyen systématique d’analyse des échantillons du langage en français, ou en français québécois, j’ai commencé à élaborer pareille procédure il y a très longtemps. C’était un « must » dans ma trousse de recherche.

L’échantillonnage du langage est une chose très difficile à effectuer sur le plan clinique. Si vous prenez un échantillon plutôt long, le transcrivez et l’analysez d’un trait, cela prend vraiment beaucoup de temps. Du même coup, pourquoi offrirais-je cela si personne ne l’utilisera? Alors je voulais le rendre plus convivial et rendre la procédure plus réalisable sur le plan clinique.

Dans cette étude, je m’attardais à la réduction extrême d’un échantillon du langage tout en en retirant le plus de bienfaits. Mon idée était la suivante : je fractionnerai l’échantillon en deux, et je le fractionnerai encore et encore, puis je constaterai le plus court échantillon que nous pouvons choisir tout en assurant l’exactitude des résultats. Ce que j’offre dans l’article, c’est une procédure abrégée qui vous permet de recueillir un court échantillon et de l’analyser en toute simplicité, puis de l’utiliser pour en retirer des renseignements complexes inspirés des données présentées.

Comment vous y êtes-vous prise pour réaliser cette recherche? Avez-vous dû relever des défis imprévus?

Eh bien, quand j’ai d’abord commencé à adapter les techniques d’échantillonnage du langage en français, je ne suis pas simplement partie de l’anglais et je ne me suis pas contenté de reproduire les mêmes règles en français. Je me suis inspirée de l’idée générale. Et je l’ai adaptée, en tenant compte de la structure de la langue française. Le codage des morphèmes grammaticaux est beaucoup plus complexe en français qu’il ne l’est en anglais, étant donné qu’il y a davantage de morphologie en français. Il m’a fallu des années pour mettre au point la procédure et nous devions coder les choses d’une certaine façon, les tester, les repenser puis retourner à notre planche à dessin et recoder le tout en modifiant la méthode. Il a fallu y consacrer beaucoup de temps et résoudre une foule de questions en cours de route. Nous devions décider comment rendre le codage suffisamment complexe pour qu’il saisisse les choses pertinentes, mais nous devions également le rendre suffisamment simple pour qu’il puisse être reproduit de manière fiable.

Alors il s’est écoulé plusieurs années avant d’en arriver à un résultat, et cette étude a donc pris plus de temps que prévu : j’avais tous ces échantillons de langage accumulés au fil des études réalisées de la même manière – pourquoi ne pas maintenant les fusionner? J’ai embauché un adjoint à la recherche pour les entrer tous dans un grand chiffrier du Progiciel de statistiques pour les sciences sociales (SPSS). À cette étape, je n’ai éprouvé aucune difficulté. Les difficultés avaient déjà été résolues durant le codage du langage en français. Il y avait quelques problèmes d’attribution à un groupe d’unités logiques de mémoire (ULM) lorsque cette attribution peut évoluer selon la longueur d’échantillon utilisée. Ce sont là des questions de méthodologie que j’aborde dans l’article.

Quelle a été la partie la plus étonnante de votre recherche?

Selon moi, ce que j’ai trouvé de vraiment spectaculaire en observant les résultats était à quel point le lien entre les échantillons de différentes longueurs est systématique. La longueur optimale des échantillons de langage a été débattue dans les écrits. Dans certaines études, des échantillons de 200 occurrences ou plus sont utilisés. Dans les échantillons normatifs, la longueur est habituellement de 100. À mon avis, ce qui était vraiment étonnant, c’était la longueur qu’on peut viser. Et de constater, tel qu’il est signalé dans les graphiques de cet article, combien stables sont les mesures des ULM et la diversité du vocabulaire. Même si vous avez plus de mots dans un échantillon plus long, le lien est simplement aussi prévisible et systémique. Et ce n’est pas juste cela. Pour la morphologie, même si l’échantillon est plus long, vous entendrez plus de types de différents morphèmes, les genres de morphèmes que vous entendrez dans un échantillon plus court peuvent plus ou moins être prédits à partir de l’échantillon plus long également, étant donné que les différences sont plutôt systématiques. C’est ce que j’ai trouvé plutôt étonnant – tout ce que vous conservez même avec un échantillon court.

Qu’entrevoyez-vous comme prochaine étape? Comment aimeriez-vous qu’on applique cette recherche?

D’abord et avant tout, j’espère que cette procédure simplifiée mènera à l’adoption d’un échantillon du langage comme pan usuel de l’évaluation clinique chez les enfants d’expression française. Il est un pan essentiel du protocole d’évaluation, pas tant pour le diagnostic, mais plus pour la planification du traitement et de l’évaluation de ses résultats. Cela augmenterait tellement la qualité de l’évaluation du langage en français si l’analyse de l’échantillon du langage systématique était ajoutée au protocole standard. Je pense que la méthode que je présente rend cela possible. Mais je pense que cela a également une applicabilité et des ramifications théoriques beaucoup plus vastes. Il est important de comprendre comment les résultats de l’échantillon du langage sont touchés par divers facteurs, tels que la longueur et le contexte. D’autres chercheurs et moi avons étudié des échantillons du langage dans divers contextes, notamment la conversation et la narration, dans différentes langues et dans différents échantillons produits par des enfants unilingues et bilingues. Plus nous comprendrons l’incidence de pareils facteurs, mieux nous pourrons élaborer des méthodes fiables d’évaluation à la fois de l’intrant offert par les enfants et de leur extrant.

Quel message voulez-vous transmettre aux autres orthophonistes qui souhaiteraient mener de la recherche sur les exercices cliniques?

La recherche axée sur l’amélioration de l’exercice clinique est incroyablement importante; c’est une tâche incontournable qui fera avancer le domaine. Il y a beaucoup de recherche fondamentale qui ne s’avère pas vraiment utile pour nous dans l’immédiat; alors, pour rendre notre exercice clinique davantage fondé sur des données probantes, nous devons également documenter les exercices cliniques directement. Un message que je souhaite transmettre est que ce genre de recherche est important – je pense parfois qu’il n’est pas perçu ainsi, mais il l’est. En outre, lorsque vous faites des choses qui peuvent sembler plus cliniques, il y a toujours une ramification théorique. La recherche clinique contribue réellement à faire avancer les questions théoriques.

Dernière réflexion

Je suis très heureuse que cet article ait été sélectionné car il est le fruit de beaucoup de travail. Mais je suis également heureuse de voir ce type de travail reconnu comme important.

 


À propos d’Elin Thordardottir

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Elin Thordardottir est née en Islande et y a grandi ainsi qu’en France. Elle a étudié l’islandais et la linguistique à l’Université de l’Islande, et l’orthophonie et l’audiologie à l’Université du Wisconsin à Madison. Depuis la fin de ses études en 1998, elle est professeure à l’Université McGill de Montréal.  Parallèlement, elle est chercheuse active à l’Académie de Reykjavik en Islande et chargée de cours à temps partiel à l’Université de l’Islande et à l’Université de l’Alberta. La recherche d’Elin porte sur l’acquisition du langage et des troubles langagiers chez les enfants unilingues s’exprimant en anglais, en français et en islandais et chez les enfants bilingues et les apprenants d’une deuxième langue au Canada et en Islande. Ses travaux comportent un solide volet interlinguistique et multiculturel, se concentrant sur la nature sous-jacente de l’acquisition du bilinguisme et du trouble du langage, en plus de traiter des questions de recherche clinique liées à l’efficacité des évaluations et des interventions. Elle est l’auteure de plusieurs mesures d’évaluation du langage axées sur le français et l’islandais et d’évaluation du bilinguisme. Elle est fréquemment invitée à offrir des ateliers de formation continue à des auditoires cliniques partout dans le monde. Elle a également assumé un rôle de premier plan dans deux projets de recherche plurinationaux européens (Mesures de coûts) portant sur le bilinguisme et le trouble infantile du langage.




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