Published on 13 septembre, 2018
0Mon expérience à titre d’orthophoniste en Inde : du 2 au 16 avril 2018
Par Shari Linde, directrice chez Advantage Speech-Language Pathology
Une version de cet article a paru dans l’édition de juin 2018 du bulletin Vibrations de Speech and Hearing BC.
Pendant longtemps, j’ai envisagé la possibilité de participer à un programme de travail à l’étranger. J’ai commencé à documenter les scénarios et je suis tombée sur un groupe créé par un jeune Vancouvérois appelé Aaron Friedland. Mon aventure avec The Walking School Bus s’apprêtait à débuter.
Le mandat de The Walking School Bus est triple : l’accès, la nutrition et le cursus. Cette approche aide les élèves à se rendre à l’école, s’assure qu’ils soient bien nourris et améliore leur programme d’études. The Walking School Bus avait organisé de nombreux voyages fructueux en Uganda. Le premier voyage imminent du groupe en Inde semblait me correspondre et être, en fait, une occasion pour moi d’appliquer mes compétences à titre d’orthophoniste en plus de contribuer de bien d’autres façons. J’étais particulièrement intéressée par la recherche que le groupe y effectuerait sur l’effet qu’auraient la lecture et l’écoute sur l’acquisition de l’alphabétisme chez les élèves. J’aimais aussi l’idée de faire partie d’une équipe internationale, où nos projets auraient une incidence à court et à long termes sur les enfants indiens, mais pourraient aussi comporter des ramifications mondiales une fois déployés dans d’autres secteurs.
Au cours de mon expédition, il y avait au total 20 personnes dans notre groupe, issues de diverses disciplines. Le groupe variait en âges de 19 à 54 ans et voyageait depuis le Canada, la Suisse, Israël, Dubaï et toute l’Inde. Tout le monde était chaleureux et accueillant, et aussi désireux de partager ses connaissances, sa culture et son savoir-faire.
Nous avons circulé pendant six heures sur le train de l’aube de Delhi à Uttarakhand, une région de l’Himalaya. Apercevoir les vues des campements le long du parcours, et l’ampleur de l’itinérance et de la pauvreté a été un véritable éclair de conscience. Depuis la station de trains de Kathgodam, il a fallu 3 heures de trajet en autobus le long de routes étroites et sinueuses pour parvenir à notre gîte. L’école que nous appuyions, l’École publique himalayenne à Suyalgarh, se situait à encore 45 minutes de route.
Pendant sept jours, nous avons consenti du temps à divers projets. Nous avons bâti un système de captation de l’eau, les chercheurs ont interrogé les enfants au sujet de leurs besoins en matière de transports, les enfants ont participé à des projets artistiques et nous avons créé une salle de classe alimentée à l’énergie solaire et munie d’ordinateurs (un conteneur d’entreposage converti en salle de classe).
Un point focal primaire de l’expédition était l’incidence de « l’écoute durant la lecture » sur l’acquisition d’une fluidité en lecture. Ce projet a mis à profit l’application informatique SiMBi, afin d’offrir aux élèves un accès à des livres qui avaient été préenregistrés par des locuteurs anglophones locaux. En utilisant des passages de lecture présélectionnés et culturellement adaptés, nous avons évalué les bons mots par minute prononcés par les élèves de la première à la septième années, en conservant à l’esprit les accents des élèves et les erreurs de substitution de sons appropriés. Les élèves aléatoirement placés dans des groupes témoins et des groupes de traitement ont été réévalués après 30 jours par l’un des chercheurs dont le rôle était de déterminer l’impact du SiMBi.
À titre d’orthophoniste, j’ai pu identifier et assister des enfants ayant des troubles du langage ou de la communication. Plus particulièrement, j’ai travaillé quotidiennement avec un élève de deuxième année qui parlait hindi et qui avait un trouble phonologique important et qui n’avait reçu aucun service. Il était tellement ravi de pouvoir dire quelques-uns de ses sons correctement. Ses camarades étaient intéressés par ce qu’il faisait et étaient désireux de l’aider.
Les élèves ont également été conviés depuis une école environnante à rencontrer « le docteur » — en l’occurrence, moi, car c’est ce qu’ils croyaient que j’étais — afin d’offrir aux parents des suggestions et des recommandations de services ou d’exercices à dispenser ou à faire à la maison. En plus de l’obstacle linguistique — mon travail devait se faire par l’intermédiaire d’un interprète — il y avait une couche supplémentaire de défis, car ils ne lisaient ni n’écrivaient dans aucun langage et ne pouvaient personnellement profiter des directives écrites.
Dans beaucoup de régions de l’Inde, il y a une véritable pénurie de services offerts aux enfants ayant des troubles de la communication. Bon nombre d’enseignants ont une formation pédagogique limitée et aucun accès aux ressources. Ils travaillent dans des salles de classe éclairées seulement par la lumière du jour qui pénètre dans la pièce à travers les portes ou les fenêtres. Les élèves s’assoient dans des salles surpeuplées devant des pupitres ou des tables brisés et un petit tableau noir à l’avant de la pièce. Beaucoup d’élèves parcourent à pied jusqu’à 10 km pour se rendre à l’école, piètrement chaussés et peu nourris et souvent dans des conditions orageuses. Pourtant, malgré ces défis, les élèves semblent enjoués et très désireux d’apprendre. Ils aiment rire et jouer : même pousser du pied une bouteille en plastique dans la cour peut s’avérer très amusant!
Les enfants de l’ÉPH à Suyalgarh étaient très respectueux et gentils. Ils ont adoré se faire prendre en photos et disaient périodiquement « Namaste » aux membres de notre équipe, ou touchaient nos pieds en signe de respect. Ils adoraient parler et échanger à propos de leurs familles, de leurs souhaits et de leurs aspirations. Ils ont hâtivement profité de toute occasion de nous aider, notamment en remplissant nos grilles, ou en remontant à la course la colline abrupte pour apporter quelque chose à un enseignant dans l’autre salle de classe. Ces enfants étaient franchement inspirants. Leur appréciation de ce qu’ils ont était absolument admirable.
Tout au long de l’expédition, il y a eu fréquemment des pluies abondantes. Nous avons souvent passé de longues périodes sans électricité ni service Internet. Même si j’avais obtenu un numéro de téléphone indien, il y avait périodiquement une « absence de service ». Les consultations de messages courriel, Instagram, Whatsapp et Facebook ont dû attendre. Nous avons appris à mieux nous connaître comme équipe, en partageant des masalas chais et des anecdotes autour du feu.
À titre d’orthophoniste, j’ai beaucoup appris de cette expérience que je partagerai avec les clients et les familles que je sers. Certaines des leçons que j’ai tirées sont les suivantes :
- Oubliez les broutilles.
- Cherchez toujours à avancer, même lorsque les obstacles qui se dressent devant vous semblent insurmontables.
- Privilégiez la bonté et le respect.
- Entourez-vous de positif.
- Donnez priorité à la communication interpersonnelle plutôt qu’aux « bidules ».
- Riez, souriez, partagez et jouez!
Mon seul regret est qu’il m’ait fallu 24 ans comme orthophoniste avant de faire un voyage comme celui-là. Ce ne sera pas le dernier. Si vous envisagez tout type de voyage bénévole à l’étranger, faites-le! C’est une expérience vraiment transformatrice. Un pan de mon cœur est demeuré auprès des habitants de l’Inde. J’ai une bien meilleure appréciation de toute la chance que j’ai de vivre ici au Canada, et une profonde gratitude à l’endroit des personnes indiennes pour tout ce qu’elles m’ont appris.
À propos de l’auteure
Shari Linde, O(C), travaille à titre d’orthophoniste depuis 1994. Elle est également fondatrice et directrice d’Advantage Speech-Language Pathology Ltd.