50e anniversaire

Published on 17 décembre, 2014

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L’importance de la prévention : « Un défi pour les années 1990 » et au-delà (1992)

Extrait des Archives d’OAC : Une série rétrospective répartie sur toute l’année

Publication : Communiqué, (pages 11-12)
Date de parution originale : Avril 1992
Auteur : Ruth Krmpotic-Cameron

Introduction par : Maureen Penko, O (C) et Sharon Halldorson, O (C)

Ruth Krmpotic-Cameron offre un plaidoyer net et passionné en faveur de modifications au système de santé dans son approche des services d’orthophonie et d’audiologie. En tant qu’orthophoniste auprès d’une unité de santé publique relevant de la province de l’Ontario dans les années 1980, Mme Krmpotic-Cameron a été submergée par une charge de travail exigeante et le risque d’épuisement professionnel occasionné par l’approche tristement inadéquate de la province face aux soins actifs. Elle s’est vivement opposée au fait que le gouvernement de l’Ontario doive légiférer l’orthophonie et l’audiologie comme des services de santé obligatoires et essentiels. Ses collègues et elle ont ensuite affirmé que la prévention, l’éducation, le dépistage préscolaire et la formation des parents répondraient davantage aux demandes des charges de travail. Bien que la création de l’Association des orthophonistes et des audiologistes en santé publique (AOASP) ait offert un soutien accru, les programmes de formation de l’heure ne préparaient toujours pas les nouveaux diplômés à cette approche non conventionnelle en prestation des services. Comme Mme Krmpotic-Cameron l’a si habilement énoncé : « Nous avons marqué beaucoup de pas sur ce parcours menant à la création de nos disciplines professionnelles en santé publique et pourtant le chemin à parcourir est encore long. »

Nous applaudissons au travail innovateur et créatif des professionnels comme Mme Krmpotic-Cameron et convenons que, même en 2014, les services de prévention dans les installations de soins de santé et les écoles continuent d’évoluer lentement. Il est encourageant que les sites Web actuels en santé publique du Canada énumèrent systématiquement l’orthophonie dans leur menu de services. Nous partageons également l’optimisme de Ruth Krmpotic-Cameron face à demain; elle voit « l’avenir de l’orthophonie et de l’audiologie en santé publique comme meilleur et prospère ».


Ruth Krmpotic-Cameron est la Director of Communication Development Services (« directrice des Services de développement de la communication ») chez Algoma Health Unit, à Sault-Ste-Marie (Ontario). Ruth est également un membre actif de l’Association des orthophonistes et des audiologistes en santé publique (AOASP). Son centre d’intérêt actuel a trait à la prévention et au dépistage précoce des troubles de la communication.

« Un défi pour les années 1990 : Intégrer l’orthophonie à la santé publique »

Ayant obtenu mon diplôme à la fin des années 1970, je n’étais sans doute aucunement différente de la plupart des autres orthophonistes.

Impatiente d’amorcer une carrière prometteuse, j’ai accepté une charge clinique exclusive auprès d’une petite collectivité nordique isolée. Au début, j’avais bon espoir que mon savoir-faire serait bien accueilli par une communauté qui, jusqu’à mon arrivée, avait un accès limité aux rares professionnels disponibles.

Je ne m’attendais absolument pas à ce que les rigueurs de la profession parviennent à dépasser mon niveau d’enthousiasme et que, en peu de temps, je devienne une autre victime de l’épuisement professionnel qui, comme nous le savons maintenant, se répand comme la peste dans la profession.

En y repensant plusieurs années plus tard, je me suis rendu compte que je n’avais pas échoué auprès de la profession ou de la collectivité. Par contre, ce qui avait échoué, c’était la stratégie. Les modèles cliniques conventionnels d’évaluation et de traitement ne pouvaient tout simplement pas espérer répondre aux exigences d’une région mal servie.

Après une pause de la profession, je suis retournée au travail, cette fois-ci dans un poste d’orthophoniste auprès d’une unité de santé publique. Nous étions en 1983 et la Loi sur la protection et la promotion de la santé venait d’être proclamée. Cette loi stipulait que les bureaux de santé seraient tenus d’assurer « des programmes et des services de santé publique fondamentaux axés sur la prévention de la maladie, la promotion de la santé et l’éducation en santé ». Auparavant, plusieurs disciplines avaient été définies comme « essentielles » ou parties intégrantes de la santé publique, y compris les soins infirmiers, la dentisterie, la nutrition et l’inspection. L’orthophonie et l’audiologie n’avaient pas été incluses parmi les services « fondamentaux » ou essentiels. La santé de la communication, et plus précisément le mieux-être de la parole, du langage et de l’audition, n’avaient toujours pas été reconnus comme parties intégrantes de la santé publique.

Dans le cadre de ce système de prestation de soins de santé publique, je me suis retrouvée empêtrée dans un conflit de rôles. Alors que mes collègues de la santé publique étaient affairés à diriger des ateliers sur la prévention et à concevoir des kiosques d’information et des curriculums en santé, je suis demeurée dans mon univers clinique, à offrir des services d’évaluation et de traitement aux personnes. Mon expérience antérieure avait confirmé les lacunes de cette méthode. Dans un district qui s’étendait sur quelque 56 980 kilomètres carrés, avec une population composée de près de 7 000 enfants d’âge préscolaire, ce modèle de prestation de services n’avait pas bon espoir de fonctionner. Mon poste était mal apparié à un organisme engagé en promotion de la santé et en prévention de la maladie.

Les influences découlant des travaux de James MacDonald et l’émergence du programme de stimulation précoce du langage Hanen à l’intention des parents à la fin des années 1970, renforçait le besoin de revoir le rôle conventionnel de l’orthophoniste. La profession commençait à s’intéresser davantage au dépistage précoce et à la réussite des efforts de médiation des parents en faveur des enfants ayant un retard de langage. J’ai fini par consacrer plus de temps à travailler directement avec les parents de nourrissons et de bambins – un groupe avec lequel je m’étais peu familiarisée durant mes stages cliniques à l’université. Nous passions moins d’heures dans la salle de thérapie et plus d’heures dans la salle de classe, où les parents se réunissaient chaque semaine pour apprendre des stratégies de stimulation du langage. Au fil du quotidien, je m’interrogeais davantage sur le bien-fondé de l’enseignement au public des techniques de résolution des problèmes de parole et de langage comme rôle plus viable pour l’orthophoniste en santé publique.

Au début, je ne m’attendais pas à rencontrer la résistance à laquelle j’ai été confrontée. Lorsque je suggérais à mon superviseur (un médecin en santé publique qui était jeune et que je présumais progressiste) que mes compétences cliniques pourraient être mises à contribution pour concevoir des programmes et des services en éducation du public et en prévention, je n’ai pas suscité son appui immédiat. Il me rappelait les longues listes d’attente pour l’obtention des services orthophoniques cliniques. « Peut-être une fois que toutes les listes de clients qui attendent une thérapie de la parole seront traitées, alors pourrions-nous étudier la question de la prévention… » Je quittais le bureau de ce superviseur frustrée et déçue.

J’étais loin de m’en douter à l’époque, mais les autres orthophonistes qui exerçaient en santé publique éprouvaient les mêmes frustrations. Coincés dans un milieu tenu par la loi de préserver le mieux-être et de prévenir les troubles, ces professionnels étaient toujours en grande partie mobilisés par les services cliniques de rééducation. Tout cela était sur le point de changer.

En 1984, les orthophonistes et les audiologistes travaillant pour des unités de santé publique à l’échelle de l’Ontario commençaient à identifier leurs pairs – pas leurs collègues cliniciens dans les hôpitaux, mais plutôt leurs homologues en santé publique. Chacun exprimait le besoin d’en appeler à la reconnaissance du rôle potentiel de défenseur de la prévention des troubles de la communication.

C’est ainsi que le 22 juin 1984 me vient à l’esprit comme une date particulièrement importante. C’est ce jour-là que ces orthophonistes et audiologistes se sont rassemblés pour la toute première fois, afin de partager leurs expériences et d’élaborer une vision d’un nouveau rôle pour les professions en santé publique.

Onze unités de santé publique ont été représentées à Toronto lors de l’assemblée inaugurale qui mènerait éventuellement à la création de l’Association des orthophonistes et des audiologistes en santé publique (AOASP). Ensemble, elles préciseraient un rôle d’appui au mandat de santé publique, un rôle qui romprait avec le modèle des soins cliniques de courte durée.

En 1985, l’AOASP en a officiellement appelé au ministère de la Santé de l’Ontario pour qu’il inclue les activités orthophoniques et audiologiques en tant que services obligatoires de santé publique. Il s’écoulerait plusieurs années, d’innombrables discussions, lettres, propositions et exposés de positions avant que cet objectif ne soit atteint.

Dans les quatre années qui ont suivi, les orthophonistes et les audiologistes ont défilé dans l’arène de la santé publique avec une fréquence étourdissante. Le roulement semblait témoigner des niveaux incertains d’acceptation du nouveau rôle, même au sein du domaine. Gerald Bonham a relevé cet aspect dans son éditorial de 1985 pour la Revue canadienne de santé publique, dans lequel il écrivait : « … le public et les professionnels de la santé ne saisissent pas les nombreuses sphères de prévention … ». La réponse dont j’ai été témoin ne m’a pas étonnée le moins du monde; les programmes de formation avaient généralement échoué à préparer les cliniciens à cette rupture d’avec l’exercice clinique. Pour beaucoup, le passage des soins cliniques de courte durée à la prévention était ardu.

Pour ces audiologistes et orthophonistes qui étaient bel et bien restés en santé publique, défendre le rôle est devenu un mode de vie. Appliquer les compétences cliniques à un environnement de santé publique dépassait le simple fait d’accomplir différentes activités. « La prévention des troubles de la communication exige un certain rajustement de l’accent conventionnel sur l’exercice professionnel … » écrivait le comité de prévention de l’American Speech-Language-Hearing Association. L’exercice en santé publique signifiait un engagement non seulement à souscrire à une nouvelle méthodologie, mais à adopter une nouvelle attitude à l’égard de la profession.

Dès le début de 1989, l’AOASP avait élaboré sa position résumant le rôle de l’orthophonie et de l’audiologie en santé publique. L’Association avait présenté son exposé inaugural lors du congrès annuel de l’Ontario Association of Speech-Language Pathologists and Audiologists. L’AOASP a contesté le rôle clinique conventionnel de traitement et de rééducation pour élargir sa vision et participer aux programmes de prévention gratuits.

La même année, l’AOASP a formulé ses recommandations pour la mise en œuvre du dépistage orthophonique chez les enfants d’âge préscolaire. Ces recommandations ont par la suite été présentées au ministre de la Santé de l’Ontario et, après révision, elles ont été rendues publiques en 1991 à titre de lignes directrices provinciales pour le dépistage orthophonique en vertu du programme pour la croissance et le développement sains d’Enfants en santé.

L’AOASP avait remporté son pari d’inclure la parole, le langage et l’audition parmi les services de santé publique obligatoires visant les enfants et les aînés. Le dépistage et l’aiguillage précoces des enfants à risque, ainsi que l’éducation du public aux problèmes de communication humaine seraient désormais une activité prescrite en santé publique.

Nous avons marqué beaucoup de pas sur le sentier menant à l’inclusion de nos disciplines professionnelles en santé publique et il reste pourtant tellement de chemin à parcourir.

Chacun d’entre nous doit, comme le suggère l’ASHA, rajuster son point focal pour inclure les efforts de prévention parmi les activités reconnues de cette profession, puis pour promouvoir cette nouvelle compréhension parmi les autres professionnels et le public d’ensemble.

Nous devons plaider en faveur d’une représentation de l’audiologie et de l’orthophonie au sein de toutes les unités de santé publique à l’échelle de l’Ontario. Nous devons nous assurer que les services liés à la parole, au langage et à l’audition soient déployés en vertu des programmes de croissance et de développement sains et qu’ils soient supervisés par des professionnels adéquats.

Ceux d’entre nous qui exercent en santé publique doivent continuer de promouvoir notre rôle unique, surtout parmi nos collègues cliniciens qui, parfois, ont de la difficulté à saisir l’essence de notre travail.

Nous devons plaider en faveur de la création de nouveaux services, auparavant inconnus de cette profession. (Qu’en est-il d’un curriculum en santé orthophonique et audiologique au sein de nos conseils d’éducation locaux?) Nous devons faire du lobbying en faveur d’une spécialisation en santé publique chez les programmes de formation professionnelle destinés aux orthophonistes et aux audiologistes.

Nous devons favoriser l’élargissement de la protection d’assurance-santé aux services d’orthophonie, comme mécanisme d’augmentation de l’accès aux services. Nous devons aussi favoriser une acceptation par les employeurs de ce que les audiologistes et les orthophonistes qui exercent en santé publique ne sont pas moins qualifiés et utiles que les praticiens qui travaillent dans les hôpitaux et les écoles. À ce titre, leurs postes méritent des salaires concurrentiels afin d’attirer et de conserver en fonctions ces professionnels uniques.

Je vois dans l’orthophonie et l’audiologie en santé publique de demain un avenir meilleur et prospère. Nul doute qu’il y aura toujours des frustrations et des obstacles le long de la route. Je crois que le moment est venu de privilégier la prévention dans notre domaine, et que la santé publique a le potentiel d’être le moyen qui nous aidera à relever notre plus grand défi des années 1990 – la prévention des troubles de la communication.

Bibliographie
American Speech-Language-Hearing Association (1991), The prevention of communication disorders tutorial, ASHA, (33), supplément, p. 15-41. 

American Speech-Language-Hearing Association (1984), Prevention: A challenge for the profession, ASHA, version augmentée, p. 35-37. 

Bonham, G.H. (1985), The four areas of prevention, Revue canadienne de santé publique, (76), p. 8010. 

Manolson, A. (1985), It Takes Two to Talk: A Hanen Early Language Parent Guide Book, Hanen Early Language Resource Centre, Toronto. 

Marge, M. (1984), The prevention of communication disorders, ASHA, version augmentée, p. 29-33. 

Ministère de la Santé de l’Ontario (1991), Speech and Language Screening Guide, Direction générale de la santé publique, Toronto. 

Ministère de la Santé de l’Ontario (1989), Lignes directrices touchant les programmes et services de santé obligatoires, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, Toronto.

À propos de la série rétrospective : 

Pour souligner le 50e anniversaire d’OAC, nous republierons des articles des premiers bulletins et magazines d’OAC tout au long de 2014. Nous republierons les articles dans leur version intégrale, sans en retoucher ni le style ni la grammaire. Sharon Halldorson, O(C), Maureen Penko, O(C), Andrea Richardson-Lipon, AuD, Aud(C), et Jessica Bedford, directrice des communications et du marketing chez OAC, sont les rédactrices en chef de cette série rétrospective répartie sur toute l’année.




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