Étudiants

Published on 6 mars, 2017

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Les cordes vocales et l’art oratoire

Par Kristin Harrison, B. A.

Un message électronique qui dit « Luke king four word tooth Ann hexed chat! » peut sembler une chaîne grammaticalement erronée ou insensée de mots anglais mais, pour moi, c’est un message typique de l’artisan des mots qu’est mon grand-père, qui a en fait hâte à notre prochaine conversation sur Skype. À bien des égards, mon grand-père a suscité mon intérêt pour le langage et pour la profession d’orthophonie. En m’aidant à visualiser les lettres d’un mot dans ma tête afin de les épeler en ordre inversé, ou en m’appuyant dans la demande au programme avec un poème sur les rôles d’un orthophoniste, mon grand-père, Alan Gooding, est un véritable maître de l’art oratoire.

Pendant un grand pan de sa vie, mon grand-père a été exposé au langage écrit de par son travail auprès d’un journal durant 10 années, auprès d’un magazine durant 10 autres années et par la rédaction d’une biographie et de strophes rimées dans ses temps libres. Au cours des dernières années, cependant, il a éprouvé des difficultés dans d’autres aspects de sa communication — plus particulièrement, sa voix. En 2009, il a commencé à constater un ton rauque dans sa voix dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Il lui a fallu une bonne dose d’autodéfense de ses droits, de multiples visites chez des médecins, ainsi que des laryngoscopies pour découvrir qu’il avait une tumeur spino-cellulaire à sa corde vocale gauche. Après une chirurgie initiale — qui a heureusement abouti à la non-nécessité d’un traitement par radiation — il s’est rendu compte qu’il ne pourrait plus jamais parler comme il avait l’habitude de le faire. À cette période, j’étais consciente du fait que mon grand-père en était venu à « chuchoter » et qu’il devait se tenir très près de moi et des autres au moment de s’exprimer; cependant, beaucoup d’autres mesures d’adaptation accompagnent ce changement de mode de vie — ou trouble de la communication.

Lorsque la communication se dérègle, ce peut être très frustrant pour toutes les personnes touchées. Au fil des ans, mon grand-père en est venu à éprouver beaucoup d’autres entraves à la communication, notamment une difficulté à parler au téléphone, dans la voiture ou à demander au commis où se trouve le café dans l’épicerie. En y repensant, il a réussi à réfléchir aux événements comiques de la mauvaise communication. Lorsque mon grand-père a un jour demandé à une associée chez Walmart où se situait le Folgers, elle lui a répondu « We don’t have a photocopier ». Ma situation préférée d’entre toutes est lorsque sa femme et lui cherchaient un endroit où séjourner durant la nuit alors qu’ils se rendaient en voiture jusqu’à Winnipeg. Mon grand-père a lu à voix haute un panneau de signalisation qui disait « Shady Lakes Campground », et sa femme, qui était plongée dans un livre, lui a répondu : « That’s a weird name for a campground, Shave Your Legs! »

Pendant deux ans, il a dû s’habituer à chuchoter et à vivre des moments de mauvaise communication. La chirurgie initiale, toutefois, n’a pas signifié la fin de ses troubles vocaux. Lors d’une visite de routine en 2011, le médecin de mon grand-père lui a suggéré la pose d’un implant dans sa corde vocale gauche pour réduire l’écart entre ses cordes vocales et lui permettre de retrouver au moins une partie de sa capacité de parole. Il a étudié les ramifications et, sans hésiter, a acquiescé et s’est engagé en riant à subir la chirurgie. On l’a averti avant d’entrer dans la salle d’opération que la chirurgie prendrait environ deux heures et qu’il serait attaché et conscient tout au long de l’intervention, pour qu’il puisse répondre à toute question et s’assurer que, lorsque l’implant serait inséré, il soit dans la bonne position. La chirurgie s’est bien déroulée et éventuellement l’implant a été inséré. Il était maintenant conscient que sa voix ne serait pas tout à fait identique à son ancienne, mais il savait qu’elle lui permettrait de communiquer avec le monde.

C’est à ce moment-ci du processus qu’il a consulté un orthophoniste. Compte tenu du délai d’attente de deux ans avant de pouvoir réserver une séance auprès d’un orthophoniste dans le système de soins de santé public, il a dû opter pour un thérapeute au privé. Mon grand-père m’a expliqué la désillusion qu’il a sentie devant la quantité d’efforts qu’il devrait consentir pour pouvoir obtenir la moindre amélioration de son état. Il m’a également exprimé que, compte tenu de sa situation post-chirurgicale, son traitement ne serait pas adapté à ses besoins et, surtout, aux aspects psychologiques et sociologiques dont il devrait tenir compte au moment de composer avec le processus de guérison dans sa gorge. Après deux ans de frustration devant le fait de devoir s’adresser à tout le monde en chuchotant, il était maintenant confronté à un nouveau défi : celui d’accepter sa « nouvelle voix » et d’apprendre quels modes de communication lui conviendraient le mieux pour pouvoir bien converser avec les autres. En septembre de l’année dernière, il est devenu bénévole et membre du Jet Aircraft Museum de London (Ontario) et, lors de la première assemblée générale mensuelle, organisée dans un grand hangar à avions, il s’est aperçu qu’il serait quasi impossible de formuler des suggestions vu que sa voix avait une portée très limitée. Lors des assemblées ultérieures, il a résolu ce problème en avisant le responsable avant l’assemblée de tout point qu’il souhaitait faire valoir; le responsable a ensuite exposé les points au nom d’Alan. À travers tous ces aléas et embûches, il a conservé une perspective enjouée empreinte d’une tristesse à l’idée qu’il ne pouvait plus chanter, un passe-temps que lui (et sa femme) affectionnaient grandement avant la chirurgie.

En tant que sa petite-fille et en tant qu’étudiante en orthophonie, j’en ai appris beaucoup sur sa résilience de s’adapter à une voix changeante et sur la façon dont la communication touche tous les aspects de notre vie, y compris qui nous sommes comme personnes. Une leçon particulière que j’ai apprise de mon grand-père est les nombreuses formes dont les idées, les pensées et les sentiments peuvent être exprimés. La manipulation des mots et des sons peut servir à décoder les courriels, à créer des jeux de mots amusants ou même à exprimer le parcours menant à un trouble vocal. Un exemple de cette utilisation des mots est son poème intitulé « Diplophonia ».

I now have diplophonia—
(That means I’m diplophonic.)
I’ve never been ‘bi-tonier’—
I almost feel harmonic.

My voice has such a ‘funny’ noise
That makes me sound quite manic.
My therapist, with perfect poise,
Said, “Now, before you panic,

“We’ll see what we can do to fix
This worrisome condition.
I’ll try and find some easy tricks
That put you in remission.

“Your vocal hygiene tops the list
So here’s some preparation:
Maintain good health (I must insist!)
This might be your salvation.

“Your diet, sleep and exercise
Must balance every minute,
Or you will only jeopardize
The time you’ll have put in it.

“So drink a lot of H2O
And eat more fruit and veggies.
If you do this, your voice will show
Improvement round the edges!”

So now I have to start my work,
And exercise comes later.
If I should even start to shirk,
I’d feel just like a traitor.

So off I go to get a start,
(Not later—do it SOONER!)
Who knows, this 80-year-old fart
Might end up as a crooner!


À propos de l’auteure :
kristin
Kristin est étudiante de première année en orthophonie à l’Université de Toronto. Elle a achevé son B. A. à l’Université Western en anthropologie linguistique et en anglais. En 2015, elle a étudié les langues et la littérature à l’Université de Tours en France. Kristin est actuellement représentante étudiante d’OAC pour l’Université de Toronto.

À propos du poète :
alan
Alan a participé au monde des communications pendant la majeure partie de sa vie professionnelle, après avoir été embauché comme réviseur, éditeur et correcteur d’épreuves d’un journal quotidien à London (Ontario). Les ramifications sociales de sa perte d’une « bonne » voix parlée a eu une incidence négative sur un pan important de sa vie. Après avoir été très motivé à sociabiliser, il consacre maintenant son temps à être un peu moins audacieux. La dernière réalisation d’Alan est un retour aux sources, où il aime travailler à des projets pour personnes cherchant des réviseurs et des correcteurs d’épreuves.




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