Le programme Tumbling Together : Une approche interprofessionnelle novatrice de la thérapie en pédiatrie
Par James Wintle, Cécile Loiselle et Jean Chamberlain Cet article a été publié originellement dans Actualités ergothérapiques, vol. 15.2. Veuillez noter que l’article a été légèrement remanié pour la présente publication.L’appel à la collaboration interprofessionnelle dans les domaines de la santé a été lancé il y a longtemps (Barr, 2002). Tumbling Together, un programme interprofessionnel unique en pédiatrie, est offert par une équipe interprofessionnelle composée d’une ergothérapeute, d’une orthophoniste, d’un professionnel de la santé mentale en pédiatrie et d’un entraîneur certifié en gymnastique, de même que d’étudiants en formation préalable à l’exercice de leur profession et de bénévoles. La mission de Tumbling Together est d’offrir une intervention thérapeutique, des interactions sociales et une activité ludique à des enfants ayant divers troubles de développement et handicaps physiques. Dans ce programme, un accent particulier est mis sur le jeu, car c’est en jouant que les enfants apprennent les habiletés dont ils ont besoin pour assumer leur rôle de ‘joueur’ et, plus tard, pour jouer des rôles occupationnels significatifs, comme celui d’ami ou d’élève (Burke, 1993; Rodger et Zivianni, 1999).
Notre vision est de favoriser la participation sociale et les liens des enfants inscrits au programme. Ces enfants font face à diverses difficultés, comme les suivantes :
- difficulté face aux interactions sociales ou activités ludiques correspondant à leur âge;
- faible utilisation du langage dans une situation sociale;
- troubles de motricité globale/de coordination (bien que les participants soient capables de marcher);
- troubles de coordination orale-motrice;
- mauvaise posture ou faiblesse posturale/mauvais contrôle du tronc;
- faible conscience du corps;
- perturbation du profil sensoriel (réactions d’hésitation, réactions excessives).
Avant de débuter le travail avec ces enfants, les parents ou les thérapeutes identifient les problèmes des enfants. Plusieurs de ces enfants ont également de la difficulté en matière d’autorégulation. L’autorégulation fait référence à la capacité de rester calme, concentré et alerte (Shanker, 2010), de même qu’à la capacité de gérer son énergie, ses émotions, ses comportements et son attention d’une manière qui est acceptable socialement et qui permet d’atteindre des objectifs positifs (Shanker, 2012). On a démontré que l’autorégulation était un indicateur de la réussite scolaire (Shoda, Mischel et Peake, 1990) et qu’une faible capacité d’autorégulation était associée à la prise de risque (Crockett, Raffaelli et Shen, 2006) et à une mauvaise santé (Bandura, 2005; Grossarth-Matickek et Eysenck, 1995; Riggs, Sakuma et Pentz, 2007). Plus un enfant peut rester calme, concentré et alerte, et plus il pourra intégrer différentes informations sensorielles, les assimiler et mettre ses pensées et ses actions en séquence (Shanker, 2010). L’autorégulation est donc une habileté essentielle que l’on cherche à développer chez les participants du programme Tumbling Together.
Description générale du programme
Le programme Tumbling Together aborde les besoins des enfants en les faisant participer à des activités physiques et des interactions sociales, tout en renforçant leur capacité d’autorégulation. La thérapie est offerte en petits groupes de quatre à sept enfants âgés de trois à cinq ans.
Les enfants qui sont dirigés vers le Tumbling Together font partie des nombres de cas de l’ergothérapeute, de l’orthophoniste ou du professionnel en santé mentale en pédiatrie; les demandes provenant d’autres organismes sont aussi acceptées. Souvent, les enfants ont un diagnostic officiel (p. ex., trouble du spectre autistique, syndrome de Down, hémiplégie, trouble de la parole ou du langage), mais il n’est pas nécessaire que l’enfant ait un diagnostic précis pour être admissible au programme.
Le programme comprend 11 séances. La première séance est une séance d’information préparatoire d’une heure à l’intention des parents/gardiens pour s’assurer qu’ils comprennent bien ce qu’ils observeront pendant les 10 séances hebdomadaires de 45 minutes qui auront lieu dans un club de gymnastique de la localité. Les trois premières séances à l’intention des enfants sont utilisées pour orienter les enfants au programme et pour permettre à l’équipe interprofessionnelle d’évaluer les enfants et de faire des ajustements.
Grâce aux commentaires des gardiens ou des parents, des objectifs sont fixés dans les cinq domaines suivants :
1. habiletés motrices;
2. capacité d’autorégulation/habiletés sensorielles;
3. communication fonctionnelle;
4. degré de préparation à l’école;
5. dimensions sociale et émotionnelle.
Les objectifs sont écrits selon le format de la Goal Attainment Scale et sont évalués à chaque semaine (King, McDougall, Palisano, Gritzan et Tucker, 2000).
Dans toutes les activités, un membre de l’équipe interprofessionnelle aide les enfants, en leur montrant comment faire chaque activité, en les encourageant à participer et en les félicitant. Les thérapeutes participent aussi à la co-régulation des participants, en leur montrant au moyen du langage ou d’exemples comment on se sent et comment on agit quand on est calme, alerte et concentré et comment on peut l’exprimer. Au fil des dix semaines, les intervenants aident de moins en moins les enfants, afin que ces derniers deviennent de plus en plus autonomes. En recevant moins d’aide des adultes, les enfants apprennent de plus en plus à agir comme des modèles pour leurs pairs. On veille à ce que chaque groupe d’enfants soit composé de joueurs ‘experts’ et de joueurs ‘débutants’ (Wolfberg, 2003). La combinaison d’experts et de débutants dans les domaines de la communication, de l’autorégulation et de la motricité globale permet d’avoir des modèles de pairs correspondant à l’âge de chaque enfant dans chaque domaine ciblé. Cela donne aussi aux enfants la possibilité de vivre des réussites dans certains domaines et d’acquérir des habiletés dans les domaines où ils ont pris du retard.
Les séances des enfants
Toutes les séances des enfants débutent de la même façon, c’est-à-dire que les enfants sont assis sur un banc, en attendant l’arrivée de l’entraîneur de gymnastique. Les membres de l’équipe interprofessionnelle profitent de ces moments pour enseigner la conscience du corps et la terminologie des étapes à suivre pour faire un échafaudage pédagogique afin que les enfants puissent se séparer de leurs parents sans stress et s’autoréguler, en attendant le début de la séance. L’échafaudage pédagogique consiste à donner le bon type et le bon dosage de soutien aux enfants et aux parents, au besoin. Les enfants entrent ensuite dans le gymnase pour faire des « activités en cercle », en chantant des chansons simples qui les incitent à s’exprimer verbalement. Ces activités sont suivies d’un jeu en ligne, pendant lequel les enfants se retrouvent à tour de rôle à l’avant, au milieu ou à la fin de la ligne – une habileté importante à acquérir avant de commencer l’école. Les parents observent les séances à travers une fenêtre. Ceci permet d’éliminer toute distraction associée à la présence des parents dans la même pièce, tout en leur permettant d’observer et de vivre les réussites de leur enfant.
Ensuite, les enfants font trois circuits d’activités motrices sur les barres et les tapis de gymnastique. Les circuits sont conçus de manière à offrir des stimulations vestibulaires, par exemple en faisant des mouvements de bascule sur la barre avec l’aide de l’entraîneur en gymnastique, et des stimulations proprioceptives, par exemple en sautant sur les tapis à partir de différentes hauteurs. Chaque circuit permet d’améliorer la force musculaire, la planification motrice et la coordination. Au cours des dix semaines, les circuits sont modifiés de manière à augmenter graduellement le degré de difficulté pour les enfants et les garder en alerte. L’un des aspects importants des circuits est que les enfants doivent attendre leur tour. Lorsqu’un enfant a terminé une activité à l’intérieur d’un circuit, il doit se tourner vers le participant qui attend, prononcer son nom, puis lui dire « c’est à ton tour ». Le pair doit répondre « ok » avant de commencer à faire l’activité.
Pendant les circuits d’activités motrices, l’entraîneur en gymnastique prend les enfants à tour de rôle sur le trampoline. Le trampoline est une activité procurant beaucoup de stimulation sensorielle à l’enfant; il stimule particulièrement les systèmes vestibulaire et proprioceptif de l’enfant. Dans les cinq dernières minutes de la séance, les enfants et les membres de l’équipe forment un « cercle fermé » et font un jeu simple, comme le jeu « duck, duck, goose ». L’activité finale consiste à choisir la photo d’un autre participant ou d’une pièce d’équipement de gymnastique préférée. L’enfant apporte la photo à domicile et la ramène à la séance suivante. Le but de l’activité est de favoriser la conversation entre l’enfant et ses parents/gardiens et d’apprendre le nom de ses pairs.
La participation des parents est graduellement intégrée dans les séances; chaque semaine, on demande aux parents de parler d’un moment où ils étaient fiers de leur enfant et de participer aux jeux amusants du ‘cercle fermé’. À la fin de chacune des séances de thérapie, les thérapeutes se rencontrent pour discuter des progrès de chaque enfant et pour coter leurs objectifs individuels à l’aide de la Goal Attainment Scale.
Une rétroaction toujours positive
Une fois que le programme de onze semaines est terminé, on remet aux parents un rapport qui résume les progrès de leur enfant au cours du programme et qui décrit des stratégies à utiliser à la maison, à la garderie ou à l’école pour poursuivre les objectifs. On demande aussi aux parents de remplir un formulaire de rétroaction. Depuis les débuts du programme, la rétroaction a toujours été positive et la plupart des parents font des commentaires sur les progrès qu’ils ont observés chez leur enfant. La grande quantité de données anecdotiques positives appuyant ce programme interprofessionnel, de même que les améliorations que l’on constate dans les scores obtenus sur la Goal Attainment Scale, mettent en relief la valeur de ce programme. Nous espérons que le succès que nous avons remporté avec le programme Tumbling Together encouragera d’autres thérapeutes à unir leurs forces et à concevoir des approches thérapeutiques interprofessionnelles novatrices en pédiatrie.
Références
Bandura, A. (2005). The primacy of self-regulation in health promotion. Applied Psychology: An International Review, 54(2), 245–254.
Barr, H. (2002). Interprofessional education today, yesterday and tomorrow: A review. London: LTSN HS&P.
Burke, J. P. (1993). Play: The life role of the infant and young child. In J. Case-Smith (Ed.), Paediatric occupational therapy and early intervention (pp. 198–224). Boston: Andover Medical Publishers.
Crockett, L. J., Raffaelli, M., & Shen, Y. L. (2006). Linking self-regulation and risk proneness to risky sexual behavior: Pathways through peer pressure and early substance use. Journal of Research on Adolescence, 16(4), 503–525.
Grossarth-Maticek, R., Eysenck, H. J. (1995). Self-regulation and mortality from cancer, coronary heart disease, and other causes: A prospective study. Personality and Individual Differences, 19(6), 781–795.
King, G. A., McDougall, J., Palisano, R. J., Gritzan, J., & Tucker, M. A. (2000). Goal attainment scaling: Its use in evaluating pediatric therapy programs. Physical & Occupational Therapy in Pediatrics, 19(2), 31–52. doi:10.1080/J006v19n02_03
Riggs, N. R., Sakuma, K. K., Pentz, M. A. (2007). Preventing risk for obesity by promoting self-regulation and decision-making skills: Pilot results from the PATHWAYS to health program (PATHWAYS). Evaluation Review, 31(3), 287–310.
Rodger, S. & Ziviani, J. (1999). Play-based occupational therapy. International Journal of Disability, Development and Education, 46(3), 337–365.
Shanker, S. (2010). Self-regulation: Calm, alert, and learning. Education Canada, 50(3). Téléchargé au http://www.cea-ace.ca/education-canada/article/selfregulation-calm-alert-and-learning
Shanker, S. (2012) Self-Regulation. Téléchargé au http://www.ccyp.wa.gov.au/forumThinker.aspx?cId=568
Shoda, Y., Mischel, W., & Peake, P. K. (1990). Predicting adolescent cognitive and self-regulatory competencies from preschool delay of gratification. Developmental Psychology, 26, 978–986. Wolfberg, P. J. (2003). Peer play and the autism spectrum: The art of guiding children’s socialization and imagination (Integrated Play Groups (IPG) Field Manual). Shawnee Mission, KS: Autism Asperger Publishing Company.
À propos des auteurs :
James Wintle
B. Sc., B. Éd, M. Éd, M. Sc. (ergothérapie)
Université Queen’s
M. Wintle est chercheur à l’Université Queen’s. Sa recherche porte sur l’éducation interprofessionnelle et les environnements d’apprentissage inclusifs.
3jjw@queensu.ca
Cécile Loiselle
B. Sc (ergothérapie) , Erg. Aut. (Ont.)
Brockville General Hospital et cabinet privé
Bien qu’elle ait travaillé pendant plus de 30 ans avec les enfants ayant des besoins particuliers, Mme Loiselle a fait l’expérience du principe selon lequel les éléments du programme Tumbling Together ont généré absolument LE plus grand succès en intervention thérapeutique auprès des clients d’âge préscolaire – sans compter, le plus de plaisir!
loice@bgh-on.ca
Jean Chamberlain
M. A., Membre OAOO, orthophoniste
Language Express @ Brockville General Hospital
Mme Chamberlain travaille avec les familles et leurs enfants ayant des troubles de communication au Brockville General Hospital depuis 30 ans. Étant donné que ses clients sont de moins en moins âgés, elle a acquis un intérêt particulier pour l’importance d’intégrer le mouvement et l’autorégulation dans les activités orthophoniques.
chaje@bgh-on.ca