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Published on 6 mars, 2015

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L’audition des nourrissons au Canada et le GTCAN

Le présent article a paru à l’origine dans Canadian Audiologist — la publication officielle de l’ACA. Reproduit avec l’autorisation d’usage.

Science Matters, vol. 2, no 1


Par Bill Campbell

La fréquence d’une perte auditive chez les nouveau-né est d’environ 2 ou 3 naissances sur 1 000.1 La perte auditive non décelée chez un enfant mène à des retards dans l’acquisition du langage parlé, mais un dépistage et une intervention précoces de la perte auditive se sont avérés producteurs de résultats en termes de communication, d’éducation et de développement social et familial.2 Pour déceler les déficits auditifs chez un nourrisson, on peut utiliser divers appareils de dépistage automatisés et les appliquer pendant que le nourrisson dort ou se repose. Un nourrisson aiguillé depuis le processus de dépistage peut être examiné de manière efficace et exacte par des professionnels qualifiés en diagnostic de la perte auditive chez les nouveau-nés et les enfants.

Avant 2001, les programmes de dépistage et d’intervention précoces de l’audition (DIPA) au Canada constituaient des efforts locaux ou régionaux, déployés par des hôpitaux ou des bureaux régionaux de santé publique. Vu que le financement était généralement limité ou non systématique, la plupart des programmes étaient restreints au dépistage ou à l’examen des nourrissons jugés à risque élevé de perte auditive. Beaucoup de ces programmes ont été abolis au gré des nouvelles priorités financières. Une grande variation de méthodes de dépistage et d’évaluation diagnostique caractérisait généralement les programmes. Sur le plan historique, les protocoles des programmes étaient conçus localement par des cliniciens et adoptés par les organismes de subventionnement. Les protocoles diagnostiques étaient généralement dictés par la disponibilité et le type de matériel offert. Le Joint Committee on Infant Hearing (JCIH, ou Comité mixte de l’ouïe du nourrisson)2 a indiqué qu’on pourrait obtenir de meilleurs résultats en développement des enfants ayant une perte auditive congénitale permanente si on offrait un dépistage de la perte auditive avant l’âge d’un mois, une évaluation audiologique avant l’âge de trois mois et des services audiologiques et / ou de développement de la communication appropriés avant l’âge de six mois. Ces cibles sont difficiles à atteindre sans un vaste programme de DIPA.

Un programme de DIPA vaste et complet comporte de nombreuses facettes. Les simples évaluation et identification de la perte auditive chez le nourrisson constituent un aspect fondamental du processus, cependant de multiples facteurs doivent être en place pour qu’un programme fonctionne bien et produise des résultats positifs. Le JCIH2 détermine plusieurs facteurs qui composent un programme efficace, y compris les lignes directrices sur le dépistage, l’audiologie diagnostique, l’évaluation médicale, l’intervention audiologique, le développement de la communication, la mesure des résultats, de même que l’infrastructure de renseignements. Un examen mené en 2013 à propos des principes qui sous-tendent les pratiques exemplaires3 énonce nettement une perspective plus détaillée des programmes de DIPA dans le contexte de l’intervention précoce axée sur la famille. Au cours de la dernière décennie, on a recensé plusieurs articles clés qui résumaient les aspects cruciaux des programmes de DIPA; ceux-ci s’inspiraient des données et renseignements émergents recueillis au gré de l’évolution et de la maturation de la programmation à l’échelle internationale.

En 2013, on a mis sur pied le Groupe de travail canadien sur l’audition des nourrissons (GTCAN) pour recueillir et partager les renseignements sur l’état des programmes de DIPA au Canada, et pour agir comme groupe de défense des intérêts et de consultation pour les efforts nationaux et provinciaux / territoriaux de création d’une programmation en DIPA. Le GTCAN se compose de professionnels, d’universitaires, et de cliniciens représentant l’ensemble des provinces et des territoires au Canada. Les membres proviennent de diverses origines et comprennent des oto-rhino-laryngologistes, des pédiatres, des audiologistes et des scientifiques. Ils participent aux divers aspects de la programmation en DIPA, y compris la prestation de services directs, la recherche, l’administration et l’élaboration des programmes. Le GTCAN est appuyé par les deux associations d’audiologie nationales, l’Académie canadienne d’audiologie (ACA) et Orthophonie et Audiologie Canada (OAC).

Au printemps 2014, le GTCAN a rendu publique une « fiche de rendement » évaluant l’état actuel des programmes de DIPA dans les provinces et territoires du Canada. La fiche de rendement était l’aboutissement d’un examen officieux de la programmation en DIPA provinciale et territoriale en place actuellement. Des programmes de DIPA existent à l’échelle du Canada, mais varient beaucoup quant au mode de financement des programmes, au type de dépistage qu’on y effectue, au processus diagnostique, et à la collecte de données dans chaque programme. La fiche de rendement du GTCAN brossait un instantané de la programmation en DIPA d’un bout à l’autre du Canada, dans le but d’évaluer l’état des paramètres et des activités des programmes de DIPA actuels. Le GTCAN a conçu cet examen initial avec plusieurs objectifs à l’esprit. Un premier objectif était d’apprendre où se trouvent les programmes efficaces qui pourraient servir de modèles aux régions qui s’apprêtent à élaborer des nouveaux programmes ou à améliorer les cadres existants. Un deuxième objectif était de déterminer les régions où des programmes existent ou sont en voie de l’être, mais qui pourraient ne pas offrir une protection complète ou pourraient ne pas comprendre les volets clés essentiels à leur réussite. Cela comprend les provinces et les territoires où des poches de DIPA existent, et où des mesures gouvernementales sont en place dans l’intention d’officialiser pareils programmes ou d’élaborer une programmation panrégionale avec un financement et un soutien stables. Le GTCAN espérait repérer des lacunes dans les programmes de DIPA, où des renseignements et du soutien faciliteraient l’amélioration de la programmation. De première importance était l’objectif de faire connaître la programmation à l’échelle nationale pour aider à concrétiser une stratégie canadienne touchant les programmes de DIPA.

La fiche de rendement de 2014 s’attardait à plusieurs aspects de ces programmes, selon les lignes directrices du JCIH mais avec des ajouts pertinents aux particularités provinciales et territoriales canadiennes. Au cours de la première étape, on a identifié des répondants clés dans chaque province et territoire canadiens. Ces répondants étaient généralement des cliniciens ou des administrateurs qui participaient activement à des programmes ou des efforts de DIPA dans leurs régions respectives. Bien qu’on ait essayé de communiquer avec des répondants appropriés dans chaque province et territoire, certaines régions étaient sous-représentées ou offraient des renseignements minimaux à des fins d’évaluation. Puisque l’état de la programmation en DIPA à l’échelle du pays était plutôt méconnu, il a été difficile au début d’identifier des participants appropriés dans toutes les régions. Heureusement, comme résultat de la fiche de rendement initiale, les provinces et les territoires avec lesquels on avait mal communiqué ont répondu en désignant des personnes clés pour consultation ultérieure et suivi.

Les points abordés dans la fiche de rendement de 2014 étaient les suivants :

  • l’existence de programmes de DIPA, et les aspects actifs de ces programmes, y compris le dépistage, l’évaluation diagnostique et le développement de la communication;
  • la protection offerte par les programmes de DIPA, en termes de nombre de nourrissons dépistés;
  • la nature des programmes de DIPA, en termes de mandat, de financement, de gestion et de soutien provinciaux / territoriaux;
  • l’existence de protocoles fondés sur des données probantes dictant le dépistage, l’évaluation diagnostique et le développement de la communication;
  • l’existence d’une vaste base de données sur les programmes de DIPA.

En l’absence d’un programme, le répondant a été invité à préciser si un programme était prévu et si la législation était en place pour la création de pareil programme.

En général, les résultats de cet examen de la programmation en DIPA au Canada ont révélé ce qui suit :

  • Deux provinces comptaient des programmes qui étaient prescrits, gérés et subventionnés par le gouvernement provincial. Ces programmes avaient instauré des protocoles pour régir le protocole de dépistage, d’évaluation, d’amplification (au besoin) et de développement de la communication. Les deux programmes avaient une vaste infrastructure d’information en place.
  • Quatre provinces / territoires avaient des programmes en place qui offraient une excellente protection (plus de 95 %) en termes de dépistage. Ces programmes avaient des protocoles standardisés en vigueur pour le dépistage, l’évaluation et le développement de la communication. Cependant, ces programmes comportaient des lacunes en termes d’infrastructure d’information et de suivi, ainsi que de mesure des résultats.
  • Deux provinces / territoires avaient des programmes en place qui dépistaient plus de 90 % des nourrissons, mais ces programmes n’étaient pas prescrits ni accompagnés d’une subvention ou d’un soutien gouvernemental net. Des lacunes en termes d’infrastructure d’information existaient dans ces programmes aussi.
  • Trois provinces avaient des programmes régionaux ou locaux en place, avec une législation ou une intention gouvernementale favorable à la création d’une programmation complète. La planification et l’élaboration des programmes visés variaient grandement à l’échelle des trois provinces.
  • Une province et un territoire n’avaient pas de programmes en place, ni une intention de leur gouvernement (à l’heure actuelle) de créer pareil programme.

Le GTCAN prévoit maintenant assurer un suivi de cet examen initial des programmes de DIPA canadiens. Cette évaluation plus approfondie et systématique examinera les programmes selon, en partie, les renseignements obtenus et les nouveaux contacts et répondants recensés dans le cadre d’un sous-produit de la divulgation du rapport initial. Le rapport prévu s’attardera aux programmes plus en détails, en obtenant des renseignements particuliers touchant les pratiques de dépistage, les protocoles d’évaluation et d’amplification, les volets et les protocoles de développement de la communication, ainsi que la capacité d’un programme d’assurer le suivi et la mesure des résultats et des objectifs.

Moeller et coll.3 énumèrent plusieurs principes de pratiques exemplaires inspirés des fondements de l’intervention précoce axée sur la famille présente dans les programmes de DIPA. Un principe clé est « l’accès précoce, opportun et équitable aux services ». La fiche de rendement du GTCAN mise à jour évaluera les programmes selon leur capacité d’offrir une protection adéquate pour le dépistage de leur population et d’offrir des aiguillages depuis les services de dépistage vers les services de diagnostic, de l’aide aux familles et une intervention de manière opportune et équitable. Ce principe combine plusieurs facteurs clés cruciaux de tout programme de DIPA. Un programme doit pouvoir bien dépister les nouveau-nés et déplacer de manière équitable les nourrissons aiguillés vers les services de diagnostic. La mobilisation de la famille est importante à toutes les étapes du processus, dans la mesure où une famille doit posséder une compréhension du processus de dépistage avant la naissance de son enfant. Si un aiguillage est nécessaire, la famille doit être pleinement mobilisée tout au long du processus d’évaluation et d’intervention afin d’optimaliser les résultats chez l’enfant.

Un autre aspect et un point clé de la réussite des programmes, les principes de pratiques exemplaires qui indiquent l’importance de surveiller l’enfant, la famille et les pourvoyeurs de services tout au long du processus d’évaluation et d’intervention afin d’assurer des résultats adéquats. Les protocoles des programmes de DIPA doivent être suffisamment souples pour faciliter les modifications de stratégies en réponse aux mesures de résultats produites aux bons moments tout au long du processus. L’apport des mesures standardisées, des observations des familles, des données audiologiques et des observations officieuses devrait offrir à une équipe d’intervention les renseignements dont elle a besoin pour traiter les interruptions au fil du parcours de développement. Ce principe renvoie aux lignes directrices primaires de la participation de la famille à l’ensemble du processus.

Le concept de surveillance des programmes prend plusieurs formes et il est souvent omis lors de la planification de la programmation en DIPA. Une base de données sur les programmes doit être vaste et apte à effectuer un suivi et un signalement efficaces de tous les aspects du programme, du dépistage au congé ultime. Une confiance totale dans les renseignements issus du système de collecte et de signalement des données est déterminante pour assurer la réussite, l’élargissement et la viabilité des programmes. La capacité d’extraire et d’analyser les données sur les programmes permettra de surveiller les composantes et d’appliquer des mesures continues d’assurance de la qualité. L’analyse des données est cruciale au maintien du troisième aspect clé d’un programme de DIPA : l’efficacité. Si un programme rate la cible énoncée dans le protocole, le résultat en sera un programme qui omettra d’atteindre l’objectif d’un dépistage et d’une intervention précoces chez la population visée.

Le GTCAN est résolu à continuer d’évaluer les programmes canadiens en cherchant à instaurer des normes et des résultats nationalement prescrits en matière de programmes de DIPA. Le rapport imminent sera la prochaine étape cruciale sur la voie menant à une programmation de DIPA pannationale qui optimalise les résultats chez les enfants nés sourds ou malentendants.


Bibliographie

  1. Hyde ML., « Newborn hearing screening programs: overview », dans The Journal of otolaryngology, août 2005, vol. 34, suppl. 2, p. S70-78.
  2. Comité mixte de l'ouïe du nourrison, « Year 2007 position statement: Principles and guidelines for early hearing detection and intervention programs », dans Pediatrics, oct. 2007, vol. 120(4), p. 898-921.
  3. Moeller, M.P., Carr, G., Seaver, L., Stredler-Brown, A., Holzinger, D., « Best practices in family-centered early intervention for children who are deaf or hard of hearing: an international consensus statement », dans Journal of deaf studies and deaf education, oct. 2013, vol. 18(4), p. 429-445.

À propos de l’auteur :

 Bill Campbell

Bill Campbell est audiologiste et membre du Groupe de travail canadien sur l’audition des nourrissons. Il est actuellement en cabinet privé et également coordonnateur régional et audiologiste auprès du Programme de dépistage néonatal des troubles auditifs et d’intervention précoce de l’Ontario, à Thunder Bay (ON).

bill@superiorhearing.ca




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