Aides en santé de la communication

Published on 25 avril, 2019

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Developmental Language Disorder: le point sur un consensus international

Par Marika Robillard

Le projet CATALISE

Avez-vous remarqué qu’Orthophonie et Audiologie Canada a récemment publié une déclaration officielle afin de favoriser la promotion et la mise en œuvre des énoncés consensuels émis par le consortium CATALISE? Comme étudiante en deuxième année du programme de maîtrise en orthophonie de l’University of Western Ontario, j’ai eu l’occasion d’apprendre en quoi consistent ces énoncés consensuels grâce à ma professeure, Dre Lisa Archibald, dans le cadre du cours Developmental Language Disorders 2.

Si vous ne connaissez pas le sens du mot CATALISE, sachez que cela signifie Criteria and Terminology Applied to Language Impairments: Synthesising the Evidence. En 2015-2016, le consortium CATALISE a constitué un groupe international de 59 experts de langue anglaise spécialisés dans les troubles du langage chez l’enfant afin qu’ils participent à une étude qui comprenait deux phases. La méthode Delphi a été utilisée pour établir un consensus au sujet des critères d’identification (phase 1) et arrêter la terminologie (phase 2) relative aux troubles du langage chez l’enfant (Bishop, Snowling, Thompson et Greenhalgh, 2016, 2017). En fin de compte, le terme générique trouble du langage a été retenu pour décrire « un profil de difficultés qui causent une déficience fonctionnelle dans la vie quotidienne et qui est associé à un pronostic défavorable » (p. 1) [trad. libre]. Le terme Developmental Language Disorder (DLD), plus précisément, a été utilisé pour décrire un trouble du langage non lié à une cause biomédicale connue (Bishop et coll., 2017).

Le DLD dans les autres langues

Comme je suis bilingue (français et anglais) et que j’ai fait mes études de premier cycle à l’Université Laurentienne, qui est un milieu bilingue, j’étais curieuse de savoir comment les énoncés consensuels seraient appliqués dans d’autres langues. Comme le mentionne la première phase de l’étude, les énoncés consensuels CATALISE ont été restreints aux pays majoritairement anglophones que sont le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Les auteurs ont convenu qu’il serait impossible d’examiner l’ensemble des 6 500 langues parlées dans le monde dans une seule étude. Par conséquent, les études de CATALISE se sont déroulées strictement en anglais avec l’intention de créer un modèle qui pourrait être utilisé dans d’autres langues et d’autres pays (Bishop et coll., 2016).

Au cours d’une discussion en classe sur les études de CATALISE, j’ai mentionné que je m’intéressais à la terminologie relative au DLD dans d’autres langues. Dre Archibald m’a suggéré de traiter de cette question dans mon projet final du cours DLD2 et elle a lancé un appel sur Twitter pour demander à ses collègues bilingues de collaborer avec moi dans ce projet. À partir de là, j’ai pu entrer en contact avec des orthophonistes de partout dans le monde pour leur demander quels termes étaient utilisés dans leur langue et leur région.

Le contexte canadien-français

J’ai d’abord tenu à savoir comment étaient traduits les énoncés consensuels dans le contexte canadien-français. Pour en apprendre plus à ce sujet, Dre Archibald m’a mise en relation avec Dre Chantal Mayer-Crittenden et Dre Roxanne Bélanger, de l’Université Laurentienne (Ontario), ainsi qu’avec Dre Elin Thordardottir, de l’Université McGill (Québec) et Dre Chantal Desmarais, de l’Université Laval (Québec).

Au cours de mes recherches et de mes conversations avec ces orthophonistes francophones, j’ai découvert que plusieurs termes ont été utilisés au fils des ans pour décrire les problèmes de langage en français, comme les termes « audimutité », « dysphasie », « retard de langage » et « trouble spécifique du langage ». J’ai aussi constaté que des travaux en vue d’établir une terminologie commune en français ont été entrepris avant l’établissement des énoncés consensuels de CATALISE et qu’ils ont été dirigés par des chercheurs et des orthophonistes de diverses régions du monde, incluant l’Ontario, le Québec, la Belgique, la France, la Suisse et l’Algérie. En 2004, en fait, l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec (OOAQ), avec l’aide de nombreux chercheurs et cliniciens comme Dre Thordardottir, se sont entendus sur l’usage du terme « trouble primaire du langage » (En Définition, n.d.). Cependant, étant donné le consensus atteint par le consortium CATALISE au sujet du terme Developmental Language Disorder, l’OOAQ a décidé d’adopter un terme plus proche du terme anglais, soit « trouble développemental du langage (TDL) » (Gingras, 2017; Maillart, 2018; OOAQ, 2018). D’autres régions d’expression française, dont l’Ontario, la France et la Belgique, ont aussi commencé à adopter cette terminologie (Archibald, Cunningham et Oram Cardy, 2019).

Quelques difficultés

Le parcours suivi pour l’adoption de « trouble développemental du langage » s’est avéré plus difficile qu’il ne peut sembler à première vue, car l’ordre dans lequel les mots sont placés ainsi que les prépositions utilisées dans la traduction française peuvent modifier le sens d’une expression. Pour mieux comprendre en quoi cette traduction qui semble toute simple peut mener à la confusion, voyons deux des premiers termes proposés. Le terme arrêté, soit « trouble développemental du langage », peut être traduit littéralement par « developmental disorder of language », ce que certains orthophonistes pourraient interpréter comme un trouble du développement humain ayant des répercussions sur les aptitudes langagières. Certains ont émis le commentaire que cela pourrait être confondu avec les difficultés langagières associées des étiologies biomédicales connues comme le syndrome de Down. À l’opposé, le terme très similaire qu’est « trouble du développement du langage », qui peut être traduit littéralement par « disorder of the development of language » pourrait être interprété comme étant un trouble spécifique au développement du langage. Finalement, c’est le terme « trouble développemental du langage » qui a été choisi puisque la majorité des orthophonistes ont convenu que les particularités du terme sont moins importantes que l’utilisation d’une terminologie cohérente.

 Vision globale

Après de nombreuses années de dur labeur parmi les cliniciens et les chercheurs francophones du monde, il semble que le consensus international tourne autour du terme « trouble développemental du langage ». Même si les subtilités et les détails techniques du processus suivi pour atteindre ce consensus peuvent sembler lourds pour les cliniciens, le fait de s’entendre sur l’utilisation d’un seul et unique terme présentera ultimement un avantage pour nos clients, et ce, de bien des façons. L’usage d’un terme uniforme nous permet d’assurer l’équité de l’accès aux services, d’identifier avec précision les personnes atteintes de TDL, d’accéder au financement de la recherche, de recueillir et de synthétiser les informations contenues dans la documentation existante, d’améliorer la communication entre chercheurs, cliniciens et familles et de sensibiliser davantage le public et le milieu universitaire à l’égard des DLD (Bishop, 2014; Bishop et coll., 2017; Ebbels, 2014; OOAQ, 2018).

Ce que vous pouvez faire

Étape 1 : Informez-vous! Que vous travailliez en milieu anglophone ou francophone, allez consulter les ressources CATALISE pour mieux comprendre les méthodes et les résultats de ce projet.

Étape 2 : Si vous travaillez en milieu francophone, vous devrez peut-être faire quelques recherches pour savoir quelles décisions ont été prises dans votre région en ce qui concerne la terminologie. Songez à communiquer avec les spécialistes de votre secteur. Vous serez peut-être même en mesure de contribuer aux efforts déployés dans votre région!

Étape 3 : Servez-vous du terme reconnu dans votre langue et dans votre région. Parlez-en avec vos collègues et aidez à faire connaître le terme à d’autres personnes, que ce soit face à face ou dans les médias sociaux. Nous avons tous un rôle à jouer dans la sensibilisation aux TDL!

Si vous voulez en savoir plus au sujet de l’utilisation du terme TDL dans diverses langues ailleurs dans le monde, soyez à l’affût de la suite de cet article!

Ressources CATALISE

Premier article sur la phase 1 de CATALISE : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0158753

Deuxième article sur la phase 2 de CATALISE : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jcpp.12721

Document synthèse de CATALISE: https://www.rcslt.org/clinical_resources/docs/revised_catalise2017

Affiché dans Communiqué : https://blog.sac-oac.ca/fr/le-trouble-developpemental-du-langage-pourquoi-vous-devriez-ajouter-le-tdl-a-votre-vocabulaire/

Vidéo de RADLD (5 min) : https://www.youtube.com/watch?v=OZ1dHS1X8jg&t=154s

Vidéo de la conférence de Dorothy Bishop pour l’IJLCD (60 min) : https://www.youtube.com/watch?v=uBehC82whh0

 


Références

Archibald, L.M.D., Cunningham, B.J., & Oram Cardy, J. (2019). Developmental language disorder: Steps toward implementation in Ontario. (An OSLA working paper). Retrieved from uwo.ca/fhs/lwm/OSLA

Bishop, D.V. (2014). Ten questions about terminology for children with unexplained language problems. International Journal of Language and Communication Disorders 49(4), 381-415.

Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2016). CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study. Identifying language impairments in children. PLoS One11(7), e0158753.

Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., Greenhalgh, T., Catalise‐2 Consortium (2017). Phase 2 of CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with language development: Terminology. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 58(10), 1068-1080.

En Définition. (n.d.). Retrieved February 7, 2019, from https://www.dysphasie-quebec.com/en-definition/

Ebbels, S. (2014, July/August). Introducing the SLI debate [Editorial]. International Journal of Language & Communication Disorders, 49(4), 377-380.

Maillart, C. (2018) L’apprentissage du langage chez les enfants présentant un trouble développemental du langage (TDL). In A. Roy et al. (Eds.), Neuropsychologie de l’enfant (pp.68-81). Paris, France; De Boeck Supérieur.

Gingras, M. (2017, July 23). Le nouveau « Trouble développemental du langage » : 57 experts se prononcent sur la terminologie entourant les troubles du langage [Blog post]. Retrieved from https://cuitdanslebec.wordpress.com/2017/07/23/le-nouveau-trouble-du-langage-developpemental-57-experts-se-prononcent-sur-la-terminologie-entourant-les-troubles-du-langage/

Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (2018). Le trouble développemental du langage pour les professionnels de la santé et de l’éducation. Retrieved from: http://www.ooaq.qc.ca/actualites/OOAQ_deIpliant_professionnels_pour%20le%20web_v007.pdf

 


À propos de l’auteure

Marika Robillard est une étudiante diplômée en dernière année du programme d’orthophonie de l’Université Western. Avant ses études à cette université, Marika a réussi un baccalauréat en sciences de la santé spécialisé en orthophonie à l’Université Laurentienne. En 2018 – 2019, elle a fait partie des lauréats des Bourses commémoratives Gordon Leslie du Fonds des Élans et de la Pourpre Royale pour les enfants ainsi que d’un prix de l’AOOA décerné par ses pairs. Elle est aussi bénévole au sein du conseil étudiant de l’Université Western à titre de représentante du comité de santé et bien-être. De plus, elle est membre du comité directeur de l’Opération Sourire de la CSD (Communication Sciences & Disorders Students), une initiative visant à lever des fonds pour Opération Sourire, un organisme à but non lucratif qui effectue des opérations partout dans le monde afin de réparer des fentes labiales et palatines.

Ce billet affiché sur le blogue a été réalisé sous la supervision de Dre Lise Archibald et a été présenté dans le cadre d’un projet définitif du cours d’études supérieures Developmental Language Disorders 2 du programme d’orthophonie de l’Université Western. Pour voir d’autres projets définitifs de ce cours, rendez-vous sur http://www.uwo.ca/fhs/lwm/teaching/dld2.html.




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