Aides en santé de la communication

Published on 4 octobre, 2019

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Developmental Language Disorder: le point sur un consensus international (Deuxième partie)

Par Marika Robillard

Ceci est la deuxième et dernière partie d’un article sur la traduction de la nouvelle terminologie du consortium CATALISE. Pour lire la première partie, cliquez ici.

Dans la première partie de cet article, j’expliquais comment une discussion dans mon cours Developmental Language Disorders 2, avec Dre Lisa Archibald, avait suscité mon intérêt à l’égard du consensus CATALISE et comment la terminologie entourant le trouble développemental du langage (Developmental Language Disorder [DLD]) se traduit dans d’autres langues. Cela m’a amenée à entrer en contact avec certains des plus éminents chercheurs canadiens-français en orthophonie, avec l’aide de Dre Archibald, afin d’en apprendre davantage sur les avancées dans la recherche d’une terminologie cohérente pour décrire les problèmes de langage chez l’enfant en anglais et en français.

Le DLD ailleurs dans le monde

Après en avoir appris plus au sujet de la terminologie relative au DLD dans le contexte canadien-français, je me suis demandé ce qu’il en était à l’échelle internationale. Dre Archibald a pu me mettre en contact avec des cliniciens et des chercheurs qui m’ont fourni de l’information sur la terminologie utilisée en brésilien, en portugais, en gaélique, en géorgien, en allemand, en grec, en italien et en suédois. Grâce à de nombreux échanges avec ces personnes, j’ai pu apprendre comment plusieurs pays ont réussi à atteindre divers degrés de consensus au sujet de la terminologie entourant le DLD.

Certains pays ont mis sur pied un groupe de défense des intérêts semblable au groupe RADLD (Raising Awareness of Developmental Language Disorder) instauré au Royaume-Uni. C’est le cas, entre autres, de TDL Brasil, lequel est constitué de cinq orthophonistes qui ont obtenu leur diplôme de doctorat à l’Université de São Paulo. J’ai communiqué avec Dre Juliana Perina Gândara, l’une des membres qui ont fondé le TDL Brasil, qui mentionne qu’elle et son équipe s’intéressent depuis très longtemps à mieux faire connaître le DLD. Les résultats du consensus de CATALISE leur ont ouvert la voie pour mettre sur pied leur propre groupe de défense des intérêts. Ils ont d’abord traduit DLD par le terme brésilien portugais « Transtorno do Desenvolvimento da Linguagem » (TDL). Depuis, le groupe travaille d’arrache-pied pour faire connaître le DLD partout au Brésil.

D’autres pays ont au moins atteint une certaine forme d’accord sur la terminologie à utiliser en ayant recours à un processus moins structuré, ce qui est le cas de la Suède et de l’Italie. Ida Rosqvist et Signe Tonér, orthophonistes et candidates au doctorat, respectivement à l’Université Lund et à l’Université Stockholm, m’ont informée que le terme suédois « språkstörning » (trouble du langage) avait déjà commencé à être utilisé couramment avant le consensus de CATALISE. Le terme « utvecklingsrelaterad språkstörning » (trouble développemental du langage) a été recommandé après le consensus de CATALISE, bien qu’il ne soit pas encore répandu. Quant à l’italien, Dre Ludovica Serratrice, professeure à l’Université de Reading, déclare que le terme utilisé à l’issue du plus récent congrès de la Federazione Logopedisti Italiani, l’organisme professionnel des orthophonistes en Italie, est « disturbo specifico del linguaggio ».

En revanche, certains pays n’ont pas encore établi l’utilisation constante d’un terme pour décrire le DLD. Prenons l’exemple de la Géorgie, pays situé au carrefour de l’Europe occidentale et de l’Asie où l’on parle une langue kartvélienne. Selon Tamara Kalandadze, une native de la Géorgie qui effectue son doctorat à l’Université d’Oslo, un équivalent géorgien du terme utilisé auparavant, soit « trouble spécifique du langage », avait été créé. Cependant, son utilisation n’est pas largement répandue dans le pays. En ce qui concerne une traduction appropriée de DLD, elle a suggéré « ენის განვითარების დარღვევა » (trouble du développement du langage) dans une entrevue accordée à une revue électronique géorgienne.

Enfin, d’autres pays ont dû en plus prendre en considération le statut minoritaire des langues étudiées. Comme le français au Canada (à l’extérieur du Québec), le gaélique est une langue minoritaire de l’Écosse et a récemment fait l’objet de nombreux efforts de revitalisation, comme l’éducation en gaélique. Morna Butcher, assistante de recherche à l’Université d’Édimbourg, dont la langue maternelle est le gaélique, explique comment Dre Vicky Chondrogianni et elle-même ont choisi le terme « mi-rian cànain » (trouble du langage) lorsqu’elles ont réalisé la première étude pour examiner le terme DLD en gaélique.

Quelques difficultés

L’une des premières choses que j’ai apprises en m’adressant à ces cliniciens et chercheurs ailleurs dans le monde, c’est que, dans n’importe quelles langues ou régions, de nombreuses variables peuvent contribuer à l’absence d’une terminologie unifiée et uniforme.

Par exemple, tout comme pour la création d’un équivalent français de DLD décrite dans la première partie, le léger obstacle qui empêche de choisir un terme approprié s’avère les caractéristiques linguistiques propres à chaque langue. Par exemple, Katerina Drakoulaki, orthophoniste et candidate au doctorat à l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes, déclare que le terme « Αναπτυξιακή Γλωσσική Διαταραχή » (trouble linguistique développemental) est ce qui correspond à DLD en grec. Elle mentionne que le mot « langage » a été changé pour « linguistique » parce qu’un syntagme ne peut pas contenir deux noms ainsi en grec.

Cependant, ces différences linguistiques ne représentent qu’une petite partie des difficultés rencontrées lors de l’adoption d’un terme uniforme. En Suède, par exemple, bien que bon nombre de chercheurs et de cliniciens se soient entendus pour utiliser « språkstörning » (trouble du langage), un mouvement dirigé par des enseignants, des parents et des personnes aux prises avec un trouble développemental du langage est contre l’utilisation de ce terme en raison de la stigmatisation associée au terme « störning » (trouble). Ces personnes proposent de remplacer le terme par « språknedsättning » (problème de langage).

De même, Dre Wiebke Scharff Rethfeldt, orthophoniste et professeure à l’Université de sciences appliquées de Bremen, explique la présence de quelques différences entre la terminologie utilisée dans les milieux de la médecine et de l’orthophonie en Allemagne. En ce moment, le terme médical « Sprachentwicklungsstörung » (SES) est privilégié comme terme générique correspondant à « trouble du langage » bien qu’il se traduise littéralement par « trouble développemental du langage » (Langen-Müller, Kauschke, Kiese-Himmel, Neumann et Noterdaeme, 2011). Cependant, depuis le consensus de CATALISE, les orthophonistes discutent de la possibilité de décrire « trouble du langage » en utilisant « Sprachstörung » et de désigner le DLD par SES puisqu’il s’agit d’une traduction plus littérale du terme anglais (Scharff Rethfeldt et Ebbels, en prép).

Un autre défi concerne moins la terminologie utilisée pour désigner le DLD que les critères utilisés pour l’identifier, tels que déterminés dans la phase 1 du consensus CATALISE. Par exemple, Eiman Nilsson, Ahlfont et Hansson (2018) ont mené un sondage auprès de 184 orthophonistes et étudiants en orthophonie de la Suède afin de vérifier dans quelle mesure ils étaient d’accord avec les critères établis par le consortium CATALISE au cours de la phase 1. Ils ont constaté que, sur les 27 énoncés, 14 obtenaient un consensus (au moins 80 % des répondants ayant accordé une cote de 4 ou 5 sur une échelle de Likert en cinq points). Cette étude démontre que, même si la majorité des cliniciens suédois sont largement d’accord avec les énoncés du consensus de CATALISE, il reste encore du travail à faire pour parvenir à un accord sur certains critères.

Vue d’ensemble

Ce ne sont que quelques exemples des travaux menés par les cliniciens et les chercheurs à travers le monde pour atteindre un consensus sur les critères et la terminologie utilisés pour décrire le DLD. Tout comme des pas ont été faits en vue d’atteindre un consensus dans les milieux anglophones bien avant les études du consortium CATALISE, de nombreuses autres régions du monde s’efforcent depuis de nombreuses années de parvenir à un accord sur ces questions. Dans bien des cas, le consensus de CATALISE a tout de même contribué à mettre ces efforts internationaux à l’avant-scène ou même à permettre aux cliniciens et aux chercheurs de faire des progrès substantiels sur des questions laissées en suspens.

Si vous avez d’autres renseignements à ajouter au sujet du DLD dans d’autres langues, prière de communiquer avec Dre Lisa Archibald larchiba@uwo.ca. Contribuez aux progrès réalisés par les nombreux spécialistes du langage chez l’enfant qui travaillent en vue d’améliorer la vie des personnes aux prises avec un DLD en continuant de vous informer au sujet de ce trouble, en aidant à l’atteinte d’un consensus et aux travaux de recherche lorsque cela est possible et en sensibilisant votre communauté au DLD, peu importe les langues que vous parlez!


Références (Deuxième partie)

Archibald, L.M.D., Cunningham, B.J., & Oram Cardy, J. (2019). Developmental language disorder: Steps toward implementation in Ontario. (An OSLA working paper). Repéré à uwo.ca/fhs/lwm/OSLA

Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2016). CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study. Identifying language impairments in children. PLoS One, 11(7), e0158753.

Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., Greenhalgh, T., Catalise‐2 Consortium (2017). Phase 2 of CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with language development: Terminology. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 58(10), 1068-1080.

Eiman Nilsson, L., Ahlfont, A. & Hansson, K. (2018, May 10-12). Swedish Speech-Language Therapists’ Views on Criteria for DLD: A Comparison with CATALISE. Paper presented at 10th European Conference of Speech and Language Therapy, Cascais, Portugal.

de Langen-Müller, U., Kauschke, C., Kiese-Himmel, C., Neumann, K., & Noterdaeme, M. (2011). Diagnostik von Sprachentwicklungsstörungen (SES), unter Berücksichtigung umschriebener Sprachentwicklungsstörungen (USES). Düsseldorf: Arbeitsgemeinschaft Medizinisch Wissenschaftlicher Fachgesellschaften e. V, 049-006. Date: 12/16/2011. Expired. Repéré à: https://www.awmf.org/uploads/tx_szleitlinien/049-006l_S2k_Sprachentwicklungsstoerungen_Diagnostik_2013-06-abgelaufen_01.pdf

Scharff Rethfeldt, W., & Ebbels, S. (in prep). Sprachentwicklungsstörung (SES) – Auf dem Weg zu einem internationalen terminologischen Konsens. Forum Logopädie, 33, 4.


À propos de l’auteure

Marika Robillard est une étudiante diplômée en dernière année du programme d’orthophonie de l’Université Western. Avant ses études à cette université, Marika a réussi un baccalauréat en sciences de la santé spécialisé en orthophonie à l’Université Laurentienne. En 2018 – 2019, elle a fait partie des lauréats des Bourses commémoratives Gordon Leslie du Fonds des Élans et de la Pourpre Royale pour les enfants ainsi que d’un prix de l’AOOA décerné par ses pairs. Elle est aussi bénévole au sein du conseil étudiant de l’Université Western à titre de représentante du comité de santé et bien-être. De plus, elle est membre du comité directeur de l’Opération Sourire de la CSD (Communication Sciences & Disorders Students), une initiative visant à lever des fonds pour Opération Sourire, un organisme à but non lucratif qui effectue des opérations partout dans le monde afin de réparer des fentes labiales et palatines.

Ce billet affiché sur le blogue a été réalisé sous la supervision de Dre Lise Archibald et a été présenté dans le cadre d’un projet définitif du cours d’études supérieures Developmental Language Disorders 2 du programme d’orthophonie de l’Université Western. Pour voir d’autres projets définitifs de ce cours, rendez-vous sur http://www.uwo.ca/fhs/lwm/teaching/dld2.html.




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